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Thèse de sciences du langage, Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle
Étude des verbalisations métalinguistiques d’apprenants coréens sur l’imparfait et le passé composé en français
Introduction Chap. 1 Chap. 2 Chap. 3 Chap. 4 Chap. 5 Chap. 6 Chap. 7 Conclusion
Résumé Biblio Corpus Index 1 Index 2 Annexe 1 : Exercice Annexe 2 : Conventions

Conclusion Générale

 

Les verbalisations de nos trois apprenantes coréennes sur l’exercice à trous nous ont permis d’avoir accès à leur conceptualisation de l’emploi du passé composé et de l’imparfait en français. Les catégories avec lesquelles nos informatrices abordent et analysent ces deux temps ont été observées, ainsi que leurs démarches cognitives qui indiquent leur manière de les appliquer.

Par le parcours mixte d’apprentissage du français de nos informatrices, leurs connaissances et analyses verbalisées comprenaient en principe des connaissances d’origine institutionnelle et personnelle qu’il nous a été difficile de distinguer en l’absence d’informations précises de leur origine. Parmi les connaissances qui nous semblaient personnelles, certaines sont induites consciemment, et d’autres semblent leur venir « naturellement ».

Nous pensions aussi au départ, étant donné l’acte conscient et intentionnel de verbalisation, que nous aurions affaire à des connaissances que nos apprenantes avaient acquises, dont elles seraient conscientes et qui pouvaient être verbalisées. Mais les verbalisations montraient également des dimensions de catégories que nos informatrices n’avaient pas acquises, ainsi que des démarches cognitives dont elles n’étaient pas conscientes. Nous avons pu ainsi déterminer différents degrés d’acquisition des catégories. Les erreurs dues aux acquisitions incomplètes et partielles de certaines catégories nous ont amené à identifier a posteriori les catégories opératoires, nécessaires à l’emploi approprié du passé composé et de l’imparfait.

Outre l’accès à la conceptualisation des deux temps en termes de catégories, l’observation des verbalisations de nos informatrices a suscité chez nous quelques réflexions. Elles n’ont pas pu être intégrées dans le corps de notre travail proprement dit, étant donné que notre étude était centrée sur l’observation de la conceptualisation. Nous les présenterons ainsi dans cette conclusion. Après la présentation succincte de nos remarques méthodologiques et autocritiques, puis de nos observations, nous exposerons nos réflexions sur les processus d’apprentissage du passé composé et de l’imparfait et sur le processus d’appropriation d’une langue étrangère en général. Nous présenterons enfin quelques pistes de recherches ultérieures.

 

1. Réflexions méthodologiques

Du point de vue méthodologique de recueil de données, outre des incidents techniques accidentels et des oublis regrettables, notre cadre d’enquête présente quelques défauts. Comme nous l’avons déjà dit dans le chapitre consacré à notre méthode d’enquête, le choix du thème d’entretien métalinguistique (les deux temps passés) a été décidé tardivement, alors que nous avions déjà commencé des entretiens avec nos informateurs dans le cadre de la pré-enquête pour avoir des idées sur leurs connaissances générales. Pour être méthodologiquement correct, après le second entretien, il aurait fallu en entreprendre un troisième, à intervalle à peu près égal à celui qui sépare les deux premiers (deux ans et huit mois). Mais cela demandait un prolongement conséquent de la durée d’étude et nous nous sommes contentés d’inclure les données de la pré-enquête.

Pour une enquête de meilleure qualité, il aurait fallu également élaborer une liste de questions à poser, testée auparavant. Cela aurait permis une systématicité dans les questions et aurait donné des résultats plus complets et comparables entre apprenantes.

Dans ce premier entretien métalinguistique, nos comportements en tant qu’enquêtrice laissent désirer sur divers aspects : interventions intempestives, anticipations de la réponse de l’apprenante, irrégularité des questions selon les verbes. En somme, tout en étant intervieweur, nous nous comportions comme une interlocutrice dans une discussion entre pairs, ce qui a pu aussi contribuer à faciliter la communication en la rendant plus libre. Lors du second entretien, nous avons réduit nos interventions intempestives et nous avons tenté d’être plus régulière dans les questions.

Un autre biais méthodologique possible est le changement de langue d’expression sur les deux entretiens : les premiers entretiens se sont déroulés en français comme c’était le cas de tous les entretiens de la période de pré-enquête, et les seconds se sont déroulés en coréen. Il nous semblait important que nos informatrices n’éprouvent pas de difficultés d’expression dans le cadre de l’activité réflexive qu’impose la verbalisation. De plus, nous nous intéressions davantage aux catégories auxquelles font référence nos apprenantes qu’à leur mise en mots proprement dite.

L’effet de ce changement de langue se manifeste d’abord dans le lexique : en leur langue maternelle, les apprenantes s’expriment avec des mots plus spécialisés, plus savants (ex. fini ou terminé vs. accompli ; état, situation vs. arrière-plan).

Une autre conséquence est le glissement entre langues avec le jugement de grammaticalité d’un des deux temps dans une phrase de l’exercice à trous à travers son équivalent coréen. Ce phénomène est observé aussi bien chez nos informatrices que chez l’enquêtrice. Mais nous ne l’avons pas observé chez toutes nos apprenantes, ce qui peut signifier que le phénomène n’est pas forcément lié à l’usage du coréen. On peut aussi penser qu’il s’agit de la traduction intérieure que nos informatrices effectuaient déjà lorsqu’elles s’exprimaient en français mais qui se fait naturellement à haute voix lorsqu’elles s’expriment en coréen.

Outre ces défauts de conduite d’entretien, une relation détendue et conviviale que nous avons pu instaurer avec nos informatrices nous a permis d’observer leurs connaissances métalinguistiques. Il ne faut pas oublier cependant que le contenu des conceptualisations de nos informatrices est étroitement lié aux phrases de l’exercice à trou, qui se sont révélées bien adaptées à notre travail.

Dans les verbalisations, nous avons eu accès non seulement aux catégories de nos apprenantes mais aussi à leurs manières d’effectuer la tâche de l’exercice à trou. Le recours à la notion de durée (localisée dans la sémantique du verbe, un adverbe ou dans un circonstanciel temporel), le recours à l’input naturel ou métalinguistique, et à la structure syntaxique, relèvent davantage des modes de choix de temps que de leur conceptualisation. La conscience métacognitive sur le comportement de réalisation de la tâche a été également observée (la conscience d’appliquer différentes catégories pour le même type de contexte). Il nous paraît nécessaire de distinguer ces divers phénomènes. Mais ces procédés cognitifs et métacognitifs liés à la tâche semblent de façon indirecte contribuer à la construction des connaissances et à éclairer le processus d’appropriation.

2. Observations

L’examen des traitements du métalinguistique dans trois disciplines, la linguistique, la psycholinguistique et la didactique des langues étrangères nous a permis de définir l’activité métalinguistique comme fonction d’autoréférenciation, inhérente au système linguistique ainsi qu’à l’activité langagière du sujet comme locuteur de sa langue ou en tant qu’apprenant de la langue première et étrangère.

A travers l’étude de la conceptualisation du passé composé et de l’imparfait de trois apprenantes coréennes adultes, nous avons tenté d’observer la « phase obscure » de la constitution des connaissances, notamment métalinguistiques.

Du point de vue des modèles d’appropriation d’une langue étrangère étudiés dans les chapitres 2 et 3, l’activité d’analyse générale de l’apprenant couvre, dans les modèles de type systémique, toutes les phases postulées, sauf la dernière (output) : elle concerne l’intake, l’intégration de l’élément saisi dans le système de connaissances, la (re)structuration des connaissances entraînant éventuellement la transformation de la nature (implicite ou explicite) des connaissances. Dans les modèles cognitifs de type symbolique, l’activité métalinguistique analytique correspond au traitement plus ou moins contrôlé, qui participe au processus d’explicitation des principes sous-jacents aux phénomènes linguistiques, processus inverse de la procéduralisation, qui est orientée vers l’utilisation automatique des connaissances en temps réel.

Pour étudier l’activité métalinguistique engagée par nos informatrices dans leur acquisition de l’emploi du passé composé et de l’imparfait, nous avons observé les catégories sur lesquelles elles s’appuient dans leur analyse, ainsi que leurs conduites cognitives. D’abord, nous avons pu constater que nos apprenantes font référence à de nombreuses catégories, de types aspecto-temporels, discursifs et également idiosyncrasiques.

Certaines catégories sont bien identifiées par toutes les informatrices et fonctionnent comme notions opérationnelles, en déterminant le choix du temps verbal : l’aspect perfect, localisation d’un procès dans le passé (ou au présent), la temporalité contenue dans le sémantisme du verbe, et la notion de durée. Ces notions semblent acquises au cours de l’apprentissage de la langue maternelle ou elles semblent être repérées par une conduite cognitive qui s’oriente « naturellement » vers elles, qu’on pourrait sans doute retrouver chez tout apprenant de toute langue si c’est le cas. Les autres notions observées étaient en cours d’acquisition : ce qui restait à acquérir était soit l’identification de la notion, soit la procédure d’application, soit la systématicité d’application, soit encore d’autres connaissances linguistiques générales, lexicales et discursives.

La référence aux catégories est formulée par divers moyens linguistiques : les noms, les adverbes et les circonstanciels temporels, ainsi que les paraphrases. En coréen, outre ces moyens, on note les suffixes verbaux conjonctifs qui correspondent en français aux conjonctions de subordination comme quand, pendant que. Dans les seconds entretiens qui s’étaient déroulés en coréen, on observe des mots plus savants et davantage de paraphrases.

Outre les différences individuelles dans les changements de catégories (non-attestation de certaines catégories ou apparition de nouvelles catégories lors du second entretien, changements qui peuvent être dus en partie au facteur interactif de l’entretien), la référence privilégiée à certaines catégories de la part de chacune de nos informatrices permet de caractériser la tendance de leur démarche métalinguistique personnelle : Lee est sensible dès le premier entretien à la dimension discursive (avant-plan et arrière-plan) et macro-discursive. Kang se distingue des deux autres par son attention portée au bornage extrinsèque de l’intervalle lors des deux entretiens. Kim se montre attachée au type de procès du verbe auquel elle fait référence systématiquement en particulier lors du second entretien.

Si certaines catégories non opératoires dans le choix du temps, comme la notion de durée absolue et la durée contenue dans le sémantisme du verbe, sont toujours mentionnées lors du second entretien par nos apprenantes, d’autres notions pertinentes gagnent en opérationnalité : a) la saisie de l’imperfectivité qui s’étend au procès transitionnel, notamment par la prise en compte du franchissement de la borne gauche, b) la saisie du rôle discursif qui s’élargit à celui de l’avant-plan et celle des rôles macro-discursifs qui se diversifient ; et c) le double bornage extrinsèque, notamment par la prise en compte d’au moins la borne droite de l’intervalle.

L’observation des catégories et des démarches cognitives de nos informatrices a mis au jour le fait que leurs erreurs de choix de temps, et aussi certains de leurs choix appropriés, sont fondés sur la référence à des catégories non opératoires, et également à certaines catégories opératoires, mais acquises partiellement (le bornage, le chevauchement d’inclusion, et l’imperfectivité).

Pour le bornage, nous en avons postulé deux types : bornage intrinsèque exprimé par l’emploi même du passé composé (prise en compte des deux bornes de l’intervalle) ou exprimé par l’imparfait (non-prise en compte des deux bornes) et le bornage extrinsèque exprimé par un élément extérieur au verbe, marquant les bornes de l’intervalle (ex. pendant tout leur voyage dans Il a plu pendant tout leur voyage). Le bornage intrinsèque, pour lequel les informatrices portent davantage leur attention sur la borne droite, n’est pas saisi directement. Sa saisie se confond avec la lecture macro-discursive (successivité, constitution de la trame) ou la localisation du procès dans le passé. Les erreurs de choix de temps dans le contexte de double bornage extrinsèque imposant l’emploi du passé composé (ex. Il a plu pendant tout leur voyage) montrent que nos informatrices (sauf Kang) n’ont en réalité pas conscience de cette catégorie.

De plus, même dans les cas de bonne réponse, deux démarches erronées ont pu être mises en évidence dans ces cas de bornage extrinsèque : a) la prise en compte de la seule borne droite au lieu des deux bornes que nécessite le passé composé, b) la saisie de la borne droite d’un procès dans un énoncé à partir de l’information contenue dans la phrase suivante.

Quant au chevauchement partiel d’inclusion, établi par deux procès reliés, l’un au passé composé et l’autre à l’imparfait, il entraîne, outre la contemporanéité de la partie chevauchée, l’antériorité du début du procès à l’imparfait par rapport à celui au passé composé. Le choix des temps appropriés était facilité par une structure syntaxique habituelle, une situation familière, et aussi par la tendance cognitive qui s’oriente vers la forme verbale ayant une plus grande affinité avec le mode d’action. Mais nous avons constaté que l’antériorité du début du procès à l’imparfait ne constituait pas une connaissance consciente chez nos informatrices : elles ne portaient pas une attention sélective sur ce phénomène et ne le thématisaient donc pas dans leurs verbalisations. Le caractère non opérationnel de cette catégorie s’est manifesté plus clairement dans les erreurs de choix de temps : observées dans une structure non typique, sur la base de leurs connaissances du monde.

La dernière catégorie opératoire mais non entièrement opérationnalisée, l’aspect imperfectif, semblait acquise pour les verbes d’état et d’activité (les cas d’affinité entre l’aspect grammatical et le mode d’action s’acquérant plus rapidement), et même pour des verbes transitionnels au second entretien (par la prise en compte de la borne gauche). Les verbalisations des choix erronés nous ont permis de savoir que ce sont les méconnaissances d’un sens lexical et une lacune dans la capacité macro-discursive qui sont à l’origine des erreurs dans la saisie d’un procès en déroulement et dans le choix du moment de cette saisie dans le récit.

Une autre démarche semblable à celle concernant le rapport d’inclusion a été également observée : le choix de l’imparfait pour un verbe peut être motivé par un fait purement formel, extérieur au rapport entre le moment repère et le moment de la situation ou à une quelconque motivation macro-discursive. Il s’agit de la structure syntaxique même de l’énoncé, en l’occurrence, celle d’une phrase complexe dans laquelle les apprenantes semblent être habituées à voir utilisés le passé composé et l’imparfait dans chacune des propositions, subordonnées et principales.

Quant aux démarches cognitives, elles affectent autant le choix de la catégorie que son opérationnalité, notamment dans sa mise en oeuvre (comme dans la prise en compte d’une seule borne de l’intervalle ou l’appui sur l’information contenue dans la phrase suivante pour saisir la borne droite d’un procès dans un énoncé). Les conduites cognitives nous informent également sur d’autres procédés sous-jacents au choix du temps que la référence à des catégories (comme la structure syntaxique de la phrase et la distribution des temps dans un certain type de phrase).

Du point de vue de l’analyse de la langue cible, le processus d’apprentissage peut se décrire comme un parcours de découverte et d’opérationnalisation graduelle des catégories pertinentes, celles qui régissent les relations forme-fonction-sens. Il s’avère que, pour l’acquisition de l’emploi du passé composé et de l’imparfait, il est nécessaire d’identifier le bornage de l’intervalle, le rapport d’inclusion entre intervalles, et l’imperfectivité, et d’en connaître les procédés d’usage.

3. Processus d’appropriation du passé composé et de l’imparfait

3.1. A propos de nos hypothèses sur les difficultés

Après l’examen succinct du passé composé et de l’imparfait français et leurs équivalents en coréen selon les catégories de notre grille d’observation, nous avions émis quelques hypothèses concernant les notions faciles ou difficiles à acquérir pour nos informatrices. Nos trois hypothèses de facilité concernant a) la distinction de la valeur perfect/non-perfect ; b) la localisation d’un procès sur l’axe du temps (passé, présent, futur), et c) les rôles discursifs (avant-plan, arrière-plan) semblent confirmées, sauf pour le non-perfect, pour lequel nous avons observé des erreurs. En effet, concevoir et comprendre un procès comme fini, le situer dans le passé et le voir comme entraînant la trame du récit font partie de la compétence linguistique de base et déjà maîtrisée par ailleurs en langue maternelle. Les deux formes différentes du passé composé et de l’imparfait se prêtent facilement à ces distinctions dichotomiques.

Nos hypothèses de difficultés concernaient le bornage, la contemporanéité et le chevauchement. Nos données les confirment pour le bornage et le chevauchement. La contemporanéité ne va pas sans difficultés, notamment pour deux procès au passé composé, quant à la capacité de jugement de grammaticalité. Mais l’imperfectivité s’est avérée être une catégorie plus problématique. Ces catégories, souvent coprésentes et reliées sous une seule forme verbale ou dans des rapports de procès, n’ont pas toujours des marqueurs distincts ni en langue maternelle, ni en langue cible. De ce fait, l’isolement de ces notions discrètes, nécessaire dans l’emploi approprié des deux temps français, n’est pas aisée, car l’apprenant doit les extraire de divers emplois du passé composé et de l’imparfait. La non-acquisition et l’acquisition partielle observées peuvent s’expliquer par ces zones de la langue cible, dont les rapports entre forme-signification ne sont pas motivés et qui, de ce fait, ne facilitent pas le traitement, dès la saisie (cf. M. Carroll, 1992).

3.2. Mise en relation avec la langue première

Durant les entretiens, l’activité de comparaison des deux langues en contact par nos apprenantes s’effectue spontanément sans sollicitation de l’enquêtrice. Il semble qu’elles repèrent d’abord les formes et les fonctions du français langue cible qui leur semblent correspondre à une relation de forme et de fonction qu’elles connaissent dans leur langue maternelle. Cette mise en relation semble se faire aussi bien de façon consciente que non consciente.

Kim et Lee opèrent consciemment une mise en équivalence des deux langues. Pour Lee, le français dispose de deux formes du passé (passé composé et imparfait) alors que le coréen n’en dispose que d’une (-ôt). Par contre, Kim établit la double correspondance, entre le passé composé et le -ôt, et l’imparfait et le -ko it-ôt. Mais ces systèmes comparatifs, s’ils ne sont pas erronés, sont réducteurs : le -ôt peut en fait se dire en français aussi bien au passé composé qu’à l’imparfait (par ex. Les phrases Il a fait beau hier, Il faisait beau hier se traduisent toutes les deux en coréen par le -ôt). Inversement, ce qui se dit à l’imparfait se dit en coréen en -ko it-ôt ou par d’autres moyens : par exemple, J’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix se dit en coréen en ttôna (‘partir’)-tô ou (suffixe de contemporanéité)-n (suffixe relatif).

Quant à l’activité de comparaison inconsciente, elle s’observe notamment dans des séquences de jugements de grammaticalité du passé composé et de l’imparfait, qu’elles effectuent à travers le coréen : il s’agit d’une activité de traduction où elles appréhendent la langue cible dans leur propre langue. Il nous semble impossible pour un apprenant d’aborder la langue cible par elle-même. Mais dans ce recours inévitable à la langue maternelle que nos informatrices ne contrôlent pas toujours, il arrive qu’elles ne respectent pas le système d’équivalence déclaré ouvertement.

3.3. Processus d’apprentissage différencié

L’observation des démarches métalinguistiques et cognitives vis-à-vis de ces trois catégories opératoires (bornage, chevauchement partiel d’inclusion, imperfectivité) nous conduisent naturellement aux processus qu’implique leur acquisition. Ces processus sont différents selon les catégories, mais consistent tous en une prise de conscience et explicitation.

L’acquisition du bornage consiste à l’identifier comme catégorie pertinente et à connaître les conditions de son emploi (notamment indices de double bornage extrinsèque). L’acquisition du chevauchement partiel d’inclusion, consiste en une schématisation ou une abstraction du rapport d’inclusion, permettant d’une part, de reconnaître le même rapport au-delà des contextes sémantico-syntaxiques facilitateurs ou habituels, et d’autre part, d’employer les temps verbaux en connaissance de cause. Quant à l’acquisition de l’imperfectivité, elle semble s’inscrire dans un contexte plus large que celui d’un ou deux énoncés successifs comme pour les deux premières catégories. Le fait de concevoir un procès en déroulement s’appuie sur la compétence macro-discursive de l’apprenant, car c’est celle-ci qui permet de savoir à quel moment adopter la vision imperfective d’un procès au cours d’un discours. De plus, l’adoption d’une vision imperfective fait intervenir la connaissance de la sémantique lexicale des verbes qui, selon les contextes, peut avoir des sens légèrement différents, en entraînant des conséquences dans le choix de temps.

En ce qui concerne l’acquisition de la valeur imperfective de l’imparfait, Kihlstedt qui a observé les productions d’apprenants suédophones de français (1998), a avancé que la capacité d’employer l’imparfait pour les procès transitionnels (ex. arriver, partir) est le signe d’apprenants avancés dans le domaine de la référence temporelle. Une difficulté de l’acquisition de l’imperfectivité s’observe en effet souvent pour les procès transitionnels. Les verbalisations de nos apprenantes du premier entretien montrent qu’elles ont tendance à porter leur attention sur l’une ou l’autre des bornes, donnant lieu ainsi à la vision dichotomique du procès perfect/non perfect. La nature transitionnelle d’un verbe (deux états distincts contenus dans la sémantique du verbe) semble en effet être à l’origine de cette orientation. L’absence d’une troisième représentation, celle du déroulement, dans les visions possibles du procès se traduit dans les choix erronés du temps verbal.

Mais le caractère transitionnel du verbe n’est pas le seul facteur de difficulté : la lecture macro-discursive et la connaissance du lexique verbal semblent jouer un rôle aussi important dans l’acquisition de la valeur imperfective de l’imparfait. De plus, l’emploi de l’imparfait pour les procès transitionnels s’acquiert relativement rapidement, comparée à l’acquisition de la compétence macro-discursive et du lexique, d’ordre plus général et divers. La relation d’interdépendance, mise au jour par les verbalisations, qu’entretiennent dans l’acquisition de l’imperfectivité, le mode d’action, la sémantique lexicale du verbe contextualisée et le contexte macro-discursif, nous conduit à l’idée que la capacité de concevoir un procès transitionnel en déroulement n’est pas l’étape ultime de l’acquisition de la référence temporelle, et à nuancer également la proposition de Kihlstedt (1998) qui centre la caractérisation de l’apprenant avancé sur un seul facteur, le type de procès du verbe (mode d’action).

Ces processus d’acquisition nous ramène également à la question de l’interaction entre les savoirs grammaticaux et les savoirs discursifs dans l’appropriation du système linguistique de la langue cible, thématique active depuis les années 90 dans les recherches sur l’acquisition des langues étrangères, et qui reste actuelle (cf. Marges Linguistiques, n°4, 5). Véronique (2002) se demande, à propos du rapport entre ces deux types de savoirs, si leurs acquisitions respectives sont autonomes ou dépendent l’une de l’autre, si l’une favorise l’autre, et si elles obéissent à la même dynamique d’apprentissage.

Comme nous le fait remarquer Py (2002), chez l’apprenant, la macrosyntaxe fonctionne parallèlement à la microsyntaxe. Selon le développement de la microsyntaxe, l’apprenant s’appuie plus ou moins fortement sur le cadre discursif, comme pour le principe de l’ordre naturel (Perdue, 1993), cadre par défaut dans le cas de récit, qui consiste à présenter les événements dans l’ordre chronologique de leur apparition.

Selon nos données, il nous semble difficile de dire qu’un des deux types de savoir précède ou conditionne l’autre en bloc. L’interaction semble s’établir de façon plus microsystémique et de plus, elle se présente différemment selon l’objet de la microsyntaxe. Pour un objet microsyntaxique comme le passé composé et l’imparfait, on a affaire à différents types d’interaction entre le grammatical et le discursif (ou entre microsyntaxe et macrosyntaxe) selon les catégories opératoires impliquées et leurs sous-catégories. Par exemple, pour le passé composé, le bornage intrinsèque s’appuie sur les connaissances discursives qui peuvent être communes à la langue maternelle de l’apprenant et à sa langue cible, comme « principe de l’ordre naturel ». Par contre, le bornage extrinsèque ne nécessite pas de telles connaissances : le repérage de l’indication externe (au verbe) de l’extension de l’intervalle concerne le niveau phrastique. Quant à l’acquisition du rapport d’inclusion qui se présente dans une phrase complexe ou dans deux phrases qui se suivent, elle ne nécessite pas non plus de connaissances discursives élaborées, alors que c’est le cas pour l’acquisition de l’imperfectivité véhiculée par l’imparfait, qui s’appuie sur des connaissances plus vastes de l’apprenant, allant du niveau lexical au niveau discursif.

L’exemple du passé composé et de l’imparfait montre : a) qu’au niveau général, on ne peut pas penser séparément l’acquisition des savoirs grammaticaux et celle des savoirs discursifs ; b) qu’au niveau microsyntaxique, certains savoirs grammaticaux peuvent s’acquérir sans référence à la dimension discursive, et certains autres sont conditionnés par la compétence discursive.

La position de Starren (2003), selon laquelle le développement des formes verbales par l’apprenant-locuteur est motivé par la cohérence temporelle dans son discours narratif, vise la démarche onomasiologique dans le processus d’appropriation. En effet, lorsque l’apprenant s’exprime en langue étrangère, c’est la cohérence discursive qui sous-tend la linéarisation et la mise en mots (microsyntaxe) de son intention de communication, et ses tentatives de rendre cohérent son discours fonctionnent comme moteur de développement de la microsyntaxe de la langue cible. Inversement, lorsque l’apprenant se trouve, dans une démarche sémasiologique, dans une tâche de compréhension de texte ou de discours d’autrui, il doit dégager la trame discursive. Ainsi on peut dire que les phénomènes grammaticaux (ex. les formes verbales) sont régis globalement par la cohérence discursive dans toute démarche linguistique du locuteur-récepteur. De ce point de vue, l’apprenant face à une tâche d’exercice à trous comme le nôtre, doit reconstituer la cohérence temporelle par le choix des temps verbaux. Mais les principes discursifs de la langue cible qu’il ne maîtrise pas constituent bien l’objet d’apprentissage. Nous avons vu que l’absence de maîtrise de la compétence discursive entraînait des erreurs de choix de temps. Si la cohérence discursive conditionne ainsi l’apprentissage des savoirs grammaticaux, nos données montrent que certains aspects grammaticaux ne sont pas régis par la dimension discursive.

3.4. Deux niveaux de conceptualisation ou deux niveaux d’explicitation conceptuelle dans l’appropriation d’une langue ?

Les verbalisations de nos apprenantes accompagnant leurs choix erronés de temps pour un verbe transitionnel particulier (partir) nous amènent à supposer deux niveaux de conception dans la vision imperfective des procès. L’examen approfondi des verbalisations nous montre que la vision dichotomique (accompli/non accompli) observée chez nos informatrices n’affecte pas en réalité la conception réelle du procès en déroulement, car elles conçoivent bien que le procès est en cours et n’est pas terminé.

Cette dichotomie intervient lors du choix de la forme verbale correspondante à la conception du procès : lorsque l’attention de l’apprenant porte sur la borne droite seule, le procès conçu en déroulement est vu seulement comme non réalisé (non accompli), et nos apprenantes choisissent des formes verbales marquant la postériorité par rapport au moment repère. Inversement, lorsque l’attention se porte sur la borne gauche, le procès conçu en déroulement est vu seulement comme réalisé (accompli), ce qui conduit l’apprenant à choisir la forme verbale marquant l’antériorité (passé composé).

Ces erreurs de prise en compte des bornes indiquent un autre niveau de conceptualisation, différent de celui dont nos apprenantes se montrent capables : outre la conceptualisation générale (action en cours), il est nécessaire, pour le choix approprié de l’imparfait, de concevoir le procès avec certaines catégories (borne gauche et borne droite), correspondant à une « action commencée mais pas terminée ».

Ce second niveau de conceptualisation évoque le penser pour parler (thinking for speaking) de Slobin (1996) qui entend par là la manière spécifique de chaque langue d’encoder et d’exprimer les mêmes expériences. Mais le cas d’action en cours et d’action commencée mais pas terminée ne s’oppose pas en terme d’universel (qui s’appliquerait à toutes les langues) et de spécifique (qui concernerait une langue particulière) : les idées d’action en cours et d’action commencée mais pas terminée étant valables pour toute langue, la différence semble résider dans ce cas dans le degré d’explicitation d’une même conceptualisation.

L’explicitation consistant à thématiser ce qui était jusqu’alors implicite met au jour les catégories spécifiques ou non à une langue particulière. La catégorie en jeu pour l’acquisition de l’imparfait et du passé composé est celle des bornes, qui n’est pas spécifique en soi à une langue, mais dont la prise en compte peut varier selon les langues. L’apprentissage du passé composé montre un autre exemple de nécessité d’une conception explicite. La conceptualisation souvent observée chez nos apprenantes, action qui a fini/terminé, qui met l’accent sur la borne droite en laissant la borne gauche implicite, se révèle insuffisante notamment par le cas de double bornage extrinsèque où l’extension de l’intervalle, indicateur des deux bornes, déclenche chez nos apprenantes la notion trompeuse de durée : la conceptualisation appropriée serait l’explicitation des deux bornes comme seul critère : « action qui a commencé et qui a fini (quelle que soit l’importance de son extension) ».

On peut ainsi avancer que pour certains objets linguistiques, même pour les aspects non spécifiques d’une langue donnée, une conceptualisation plus explicite peut être nécessaire.

 

4. Processus général d’appropriation

Les verbalisations métalinguistiques autour des trois catégories opératoires nous permettent d’entrevoir non seulement leur processus d’acquisition, mais aussi le processus général d’appropriation d’une langue étrangère. Elles nous conduisent à aborder cette question autour de deux thèmes : a) le point de vue du mécanisme d’évolution et b) le point de vue des deux modes d’apprentissage implicite ou explicite.

4.1. Mécanisme d’appropriation

L’évolution des connaissances métalinguistiques et les démarches cognitives montrent ou confirment divers aspects du processus d’apprentissage qu’on connaît déjà par les travaux de différentes disciplines : du point de vue diachronique, on observe le caractère graduel, la régression, et le procédé microsystémique du cas par cas ; et du point de vue synchronique, on constate la co-existence de connaissances conflictuelles, et la coprésence de connaissances anciennes caduques à côté des nouvelles.

4.1.1. Caractère graduel

Le fait qu’une langue étrangère s’acquière graduellement est loin d’être nouveau. Mais les verbalisations métalinguistiques d’apprenants nous montrent en quoi consiste la gradualité de l’acquisition d’un microsystème, ainsi que celle de procédés cognitifs qui, eux, ne peuvent pas toujours s’observer dans les seules productions orales.

Outre l’exemple du procès transitionnel (partir) que nos apprenantes arrivent à conceptualiser correctement, avec une utilisation de la forme verbale correspondante, le caractère graduel peut être illustré par l’acquisition de la catégorie de bornage par Lee, notamment, par le cas de double bornage extrinsèque. Lors du premier entretien, Lee identifie l’extension de l’intervalle véhiculée par un procès donné (rester huit mois à l’hôpital) comme « durée ». Aucune borne de l’intervalle n’est prise en compte. Lors du second entretien, elle prend en compte la borne droite, ce qui la conduit déjà au choix approprié du passé composé, même sans saisie des deux bornes indiquant l’extension de l’intervalle. Malgré ce procédé de saisie erroné de fin du procès dans la phrase suivante, il s’agit bien d’un progrès. On peut supposer que la prochaine étape est la saisie des deux bornes.

4.1.2. Procédé du cas par cas

Si l’un des mécanismes du processus d’acquisition d’une langue étrangère est la généralisation d’une règle (hypothétique) (cf. généralisation pour le lexique, Giacobbe, 1986), on constate également le mouvement inverse : le traitement au cas par cas. L’observation, lors du second entretien, du choix approprié de l’imparfait pour un verbe transitionnel (partir) nous est apparu d’abord comme un signe d’acquisition de la vision imperfective des procès transitionnels. Mais les autres verbes du même type, ne pas le reconnaître, arriver au carrefour, une voiture arriver, l’enfant se retrouver tout seul, et la police arriver, ont révélé une erreur de choix des temps : l’emploi réussi de l’imparfait pour un verbe transitionnel ne signifie pas pour autant l’acquisition de la vision imperfective de tout procès transitionnel.

Sans catégorisation, l’apprenant traite différemment chaque cas sous l’influence de différents facteurs. La vision imperfective d’un procès transitionnel s’obtient comme résultat d’une compétence linguistique regroupant, par exemple, la connaissance de la sémantique du verbe contextualisée (ne pas le reconnaître) et non contextualisée (arriver au carrefour, se retrouver tout seul), la lecture macro-sémantique (une voiture arriver), et d’autres procédés de choix de temps (en l’occurrence, l’influence du schéma syntaxique employé dans l’apprentissage des temps en question dans l’input pour la police arriver).

Si chaque cas semble être traité comme un cas particulier, du moins dans la limite de nos données, la diversité du traitement est elle-même signe de la dynamique du processus d’apprentissage. Car, la saisie de la même imperfectivité de différents types de verbes dans des contextes variés signifierait que l’apprenant a identifié cette notion et ses principes de fonctionnement dès le départ.

4.1.3. Coexistence des connaissances conflictuelles

Du point de vue synchronique, le processus d’appropriation peut se caractériser par la coexistence des connaissances conflictuelles, non compatibles entre elles, reflétant l’état des activités métalinguistiques de l’apprenant, notamment métacognitives. Deux types de connaissances conflictuelles sont observés dans nos données, notamment lors du second entretien : a) des connaissances portant sur les catégories, b) d’autres portant sur les procédés de choix du temps. Pour ce qui concerne les catégories, on observe d’abord les paires suivantes qui concernent la notion souvent inopérante de durée : a) durée absolue (« pendant quelques temps », « depuis longtemps », « un peu de temps », « pendant un certain temps ») vs. durée relative (durée d’un procès considérée comme courte ou longue par rapport à la durée d’un autre procès) ; b) durée absolue vs. relativité de durée du point de vue du locuteur ; c) le type de procès du verbe vs. l’aspect perfect. En ce qui concerne les procédés de choix de temps, on constate un conflit entre les procédés suivants : d) structure typique vs. input « naturel » (ce que l’apprenant a entendu ou lu).

Lorsque l’apprenant considère chacune des notions conflictuelles comme valide, se pose la question du choix, et il se trouve dans une impasse. Lee et Kim montrent alors le même type de réaction : le choix d’une des notions en concurrence qui n’aboutit pas toujours an temps approprié. La solution pour l’apprenant (qui n’est certes pas toujours conscient du caractère conflictuel), qui ne sait pas comment s’en sortir, consisterait à trouver des arguments invalidant l’une des deux connaissances. D’ailleurs, de temps en temps, cette méthode négative est effectivement utilisée.

4.1.4. Coprésence des connaissances anciennes caduques et nouvelles

Une autre caractéristique du système de connaissances de l’apprenant est la coprésence de connaissances révélées à un moment donné comme non pertinentes et des connaissances nouvelles qui sont censées remplacer les premières. L’apprenant semble conserver relativement longtemps différents types de connaissances. Ce mécanisme explique d’ailleurs la présence des connaissances conflictuelles et le phénomène de régression lorsque l’apprenant fait appel à des connaissances caduques à la place de connaissances jugées plus pertinentes. C’est ce qui est souvent à l’origine de la double acceptation du passé composé et de l’imparfait chez nos apprenantes. La coexistence de connaissances pouvant être conflictuelles montre que le tri ou la restructuration de connaissances ne se fait pas instantanément au moment où l’apprenant découvre le caractère non opératoire d’une connaissance.

4.2. Apprentissage implicite vs. Apprentissage explicite

Outre des informations sur le processus général d’appropriation, les verbalisations métalinguistiques offrent des indices pour la question des deux modes d’apprentissage, implicite et explicite. Nous avions avancé à ce propos une hypothèse selon laquelle une règle grammaticale complexe nécessite un mode d’apprentissage explicite, et non un mode implicite comme le prétend Reber (cité par Schmidt, 1994).

Dans l’acquisition de l’emploi du passé composé et de l’imparfait qui consiste à identifier les catégories pertinentes et à les rendre opérationnelles, la question des modes implicite et explicite concerne les deux phases, celle de l’identification des catégories et celle de leur opérationnalisation (repérage approprié, systématicité de référence).

Certaines catégories observées chez nos apprenantes, par leur caractère universel, semblent s’acquérir « naturellement », sans attention sélective, par le mode implicite : il s’agit de la notion de durée absolue et celle de la temporalité contenue dans le sémantisme du verbe, qui se caractérisent par leur emploi précoce et leur persistance.

Il existe d’autres catégories qui ne s’acquièrent pas «naturellement», comme les trois catégories opératoires que nous avons examinées. Nous avions avancé plus haut que pour le bornage, son repérage comme catégorie pertinente constitue la quasi-totalité du processus de son apprentissage. Mais l’identification de cette catégorie s’effectue-t-elle par mode implicite (par l’accumulation de l’input sans en être conscient) ou par mode explicite (par instruction ou par la prise de conscience causée par l’input métalinguistique informel) ? Quels indices apportent nos données ?

Le cas spécifique de double bornage extrinsèque est celle qui manifeste le plus clairement la connaissance des apprenantes, car la non-prise en compte d’aucune borne entraîne un choix erroné : Kang est la seule à considérer cette catégorie comme pertinente, Lee commence à prendre en compte la borne droite lors du second entretien, même si le procédé de prise en compte est erroné, et Kim s’appuie sur la notion d’aspect perfect qui sert à saisir la borne droite.

En ce qui concerne les contextes d’apprentissage de la prise en compte des bornes, nous savons par son témoignage que Kim l’a appris de son professeur de français. Nous supposons aussi que Kang l’a apprise en cours de français. Pour Lee, la prise en compte consciente de la borne droite semble relever de sa propre initiative. Le fait qu’un intervalle dont l’expansion est spécifiée, donne une vision globale du procès et impose ainsi l’emploi du passé composé peut-il s’acquérir sans que l’apprenant porte l’attention sur les bornes et sans aide extérieure ? Seule la prise en compte de la borne droite semble possible par les seules connaissances de l’apprenant et sans apport extérieur. Mais en ce qui concerne les deux bornes, l’apprenant semble avoir besoin d’un stimulus extérieur qui oriente son attention vers elles. A propos du stimulus extérieur, on sait avec S. Carroll (1997) que même s’il s’agit d’un stimulus métalinguistique, il faut que l’apprenant l’interprète comme tel.

Le rapport d’inclusion montre les mêmes indices en faveur de la nécessité d’un apport extérieur métalinguistique. Lorsque nos apprenantes ont bien choisi le passé composé pour le procès inclus et l’imparfait pour le procès l’incluant, le contexte pragmatico-syntaxique facilitait les choix appropriés : dans un contexte syntaxique différent, tout en considérant une relation appropriée de succession, elles ont choisi les temps qui établissent au contraire le rapport d’inclusion. Cette erreur montrait que même lorsque nos informatrices effectuent de bons choix, elles n’utilisent pas cette catégorie explicitement. Seule Lee la connaissait mais a choisi des temps erronés, en effectuant une interprétation atypique de la situation. Nous n’avons pas trouvé d’indice sur les circonstances d’acquisition de sa connaissance, mais il nous semble que l’acquisition de cette catégorie réside dans une abstraction ou une schématisation du rapport d’inclusion qui suppose une induction consciente.

L’acquisition de l’imperfectivité nous semble relever du même mode explicite, même si elle repose sur des connaissances linguistiques plus générales. Le principe est de voir un procès dont on parle comme en déroulement à un moment pris comme repère. Outre de nombreux cas d’affinité avec le mode d’action qui facilitaient le choix de l’imparfait, et d’autres cas qui nécessitent des connaissances supplémentaires du lexique verbal, nous avons constaté qu’une conception plus explicite était nécessaire. Cette explicitation qui peut concerner les bornes ou qui peut être d’ordre macro-discursif est une activité d’analyse consciente : nous avons observé des cas où une orientation d’attention par l’enquêtrice, une sollicitation de réflexion, et une relecture contribuant à une mise au point macro-discursive ont permis d’autocorriger une erreur de choix.

De plus, l’acquisition de la distinction des deux temps implique non seulement la connaissance des catégories, mais aussi la maîtrise de conduites cognitives. De même que le mode explicite est requis pour les catégories, il est aussi nécessaire à l’acquisition de démarches cognitives appropriées : a) au niveau de la catégorie, le bornage extrinsèque repose sur le repérage de l’élément indiquant l’extension de l’intervalle dans l’énoncé, donc la prise en compte des deux bornes et non de la seule borne droite ; b) au niveau du choix du temps, il repose sur le rapport entre le moment repère et le moment de la situation ou sur le bornage dans un contexte discursif donné et non sur la structure syntaxique.

Ces éléments concourent à indiquer que le phénomène d’aspect, catégorie grammaticale complexe par excellence en français, ne s’acquerrait pas par le mode implicite, mais par des microprocessus d’explicitation de chacune de ses composantes constitutives.

5. Perspectives de recherches

Si l’on persiste dans la même thématique de recherches sur l’activité cognitive de l’apprenant dans la construction de connaissances métalinguistiques de la langue cible, la prochaine étape de recherche serait d’étudier l’appropriation d’autres microsystèmes. Étant donné que notre objet était deux temps verbaux du passé, il nous semble logique de l’étendre à d’autres temps du passé comme le plus-que-parfait, et d’observer leurs valeurs respectives dans un système.

Outre le temps et l’aspect qui constituent le noyau du pôle verbal en français, nous nous étions intéressés également au pôle nominal, notamment aux articles dont l’apprentissage est réputé comme difficile. L’acquisition de l’article défini et de l’article zéro suivi de la préposition de dans une structure N de N nous avait particulièrement intéressé. Nous souhaitions l’étudier dans ce présent travail mais nous avons décidé de nous concentrer sur les temps passés.

Finalement, l’observation des activités métalinguistiques de l’apprenant en terme de catégories et de démarches cognitives a une retombée didactique immédiate. Comme les catégories opératoires ne semblent pas émerger de la seule accumulation de l’input «naturel», elles devront faire l’objet d’une présentation explicite. Dans cette perspective, un travail comme le nôtre peut contribuer à la sélection des catégories à étiqueter et à mentionner dans une élaboration des explications métalinguistiques.

 


 



Thèse Résumé Table Introduction Chapitre 1 Chapitre 2 Chapitre 3 Chapitre 4 Chapitre 5 Chapitre 6 Chapitre 7 Conclusion
Bibliographie Index notions Index noms Corpus Lee 1-1 Corpus Lee 1-2 Corpus Lee 2 Corpus Kang 1-1 Corpus Kang 1-2 Corpus Kang 2 Corpus Kim 1-1 Corpus Kim 1-2 Corpus Kim 2

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