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Thèse de sciences du langage, Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle
Étude des verbalisations métalinguistiques d’apprenants coréens sur l’imparfait et le passé composé en français
Introduction Chap. 1 Chap. 2 Chap. 3 Chap. 4 Chap. 5 Chap. 6 Chap. 7 Conclusion
Résumé Biblio Corpus Index 1 Index 2 Annexe 1 : Exercice Annexe 2 : Conventions


Chapitre 7. Observation des verbalisations autour de trois notions principales

Nous avons constaté dans le chapitre précédent que nos trois informatrices faisaient référence à l’ensemble des notions aspecto-temporelles de notre grille d’observation, tout en ayant recours à d’autres notions à caractère idiosyncrasique. Après l’observation des verbalisations avec nos critères d’opérationnalité (disponibilité de la notion, précision de sa verbalisation et systématicité de repérage) et leur suivi longitudinal succinct, nous avions avancé que certaines des notions étaient opératoires et que certaines autres ne l’étaient pas.

Dans ce chapitre, nous nous proposons d’approfondir trois caractéristiques dont la connaissance permettrait, selon nous, d’employer le passé composé et l’imparfait de façon plus appropriée, mais dont nous avons observé précisément la non-opérationalité chez nos informatrices : le bornage de l’intervalle, le chevauchement partiel d’inclusion, l’aspect imperfectif.

Si tout procès comporte un certain type de bornage, le rapport d’inclusion entre deux intervalles et l’aspect imperfectif nécessitent deux moments de référence : ils désignent une certaine vision du procès à partir d’un moment pris comme repère. Dans le rapport d’inclusion, le procès incluant par rapport au moment repère (inclus) peut être vu comme ayant débuté avant le procès inclus. Mais il peut aussi être vu en déroulement au moment repère, comme ayant une valeur imperfective. Ainsi, un même procès peut être vu différemment selon le point de vue choisi.

Dans la tâche de l’exercice à trous, dans certains cas, le choix d’une seule de ces trois visions de procès suffisait pour effectuer le choix du temps approprié. Dans d’autres cas, la connaissance de chacune d’elles est nécessaire, et leur non-acquisition entraîne des erreurs dans le choix du temps. C’est ce qui s’observe chez nos apprenantes et c’est à l’évolution de ces trois notions sur les deux entretiens, ainsi qu’aux démarches cognitives sous-jacentes que nous nous intéresserons dans ce chapitre.

1. Bornage

Le bornage de l’intervalle ne fait pas partie des phénomènes aspectuels proprement dits chez Noyau ou Klein dont nous avons adopté les classifications. Noyau le considère, avec la durée, l’itérativité, le changement d’état et les phases, comme une des « caractéristiques inhérentes aux situations », qui ne rentrent pas dans le cadre des jeux de perspectives entre le moment repère et le moment de la situation. Pourtant c’est une notion contenue implicitement dans les aspects perfect et imperfectif, perfectif, et prospectif. De plus, comme nous l’avons constaté dans le chapitre précédent, cette notion intervient de manière pertinente dans le choix du passé composé et de l’imparfait. Ainsi, en terme de bornage, le passé composé, véhiculant l’aspect perfect, marque notamment l’inclusion[182] de la borne droite de l’intervalle dans la saisie du procès, alors que l’imparfait, véhiculant l’aspect imperfectif, n’inclut pas les deux bornes, saisissant une portion de l’intervalle entre les bornes.

En choisissant le passé composé, le locuteur opte pour une vision compacte ou globale du procès, qui prend en compte les deux bornes de l’intervalle. Même si cette vision est un choix du locuteur, elle doit être appropriée au contexte discursif. Dans les récits de l’exercice à trous, ce contexte discursif étant déjà fixé, la tâche de nos apprenantes consiste seulement à choisir la vision de procès (compacte ou partielle) par le choix du passé composé et de l’imparfait. Du point de vue macro-discursif, les procès marquant la successivité ou constituant la trame imposent la vision globale de chacun des procès considérés, le début et la fin du procès antérieur étant la condition sine qua non du procès suivant.

Lorsque le choix du passé composé lui-même entraîne la saisie des deux bornes, notamment dans les procès successifs ou ceux constituant la trame, on peut parler du bornage intrinsèque. Il existe d’autres cas où la vision globale du procès est renforcée par le marquage explicite des deux bornes de l’intervalle, que nous nous proposons d’appeler bornage extrinsèque. Le marquage explicite se fait souvent à l’aide d’un circonstanciel temporel. Il en va de même pour la vision partielle, notamment celle de la portion entre les deux bornes du procès : l’emploi de l’imparfait lui-même peut l’imposer ou cette vision peut être renforcée par des éléments extérieurs au verbe.

Dans le cas du bornage intrinsèque, la compétence macro-discursive est le prérequis de l’emploi des deux temps et de ce fait, la connaissance de la notion de bornage elle-même peut ne pas être nécessaire. En revanche, dans les cas de bornage extrinsèque où les éléments indiquant la vision compacte ou partielle fonctionnent comme des indices, seule la connaissance de la notion de bornage permet de les repérer. Nous examinerons donc l’évolution de la considération de la notion de bornage chez nos trois apprenantes sur les deux entretiens.

1.1. Prise en compte des bornes dans la saisie d’un procès et passé composé

La prise en compte des bornes dans la saisie d’un intervalle occupé par un procès peut être marquée par l’emploi du passé composé (bornage intrinsèque) ou par une explicitation de l’extension de l’intervalle à l’aide d’autres moyens que le temps verbal (bornage extrinsèque).

1.1.1. Bornage intrinsèque

Lorsque le passé composé a été choisi, ce qui est souvent sous-jacente, c’est la prise en compte de la borne droite de l’intervalle occupé par le procès. Voici des exemples où nos trois apprenantes font référence au bornage pour le même verbe sur les deux entretiens :

 

(Extrait 56a) 6-15 L’enfant s’est retrouvé tout seul, il a eu peur et a réussi à partir lui aussi (Kang I, fr.)

1 E : ... Et il A réussi à partir lui aussi (K : hm) donc là c’est... (K : il a réussi) il a réussi (K : à partir) hm

2 K : C’est-à-dire c’est la même euh il a couru (E : <hm) <dans la cabine (E : hm-hm) euh... <c’est XXX

3 E : C’est le verbe selon le verbe donc on ne... il vaux mieux mettre au au... au passé composé ? c’est ça ?

4 K : En en quelques /kar/ (E : hm) dans dans quelques /kar/

5 E : Donc tu penses que si on disait il réussiSSAIT à partir <à l’imparfait c’est

6 K : <Si on dit il réussissait à partir (E : hm lui aussi oui) c’est-à-dire/ il réussis-sait à partir il a roulé le vélo (E : hm) il a roulé le vélo (E : hm...) et... si on imagine une... une tableau (E : hm) qui s’exprime tout/ tout... <toute histoire (E : <tout cette histoire oui) oui voilà (E : hm) un homme qui... qui téléphone (E : hm) et qui.. téléphone ici et... (E : hm) un enfant (E : hm) si on /metr/ il a réussi à partir (E : hm) il part il est parti <hm (E : <hm) <il n’est plus là

7 E : <Donc il a essayé une seule fois il a réussi ?

8 K : Non non non j’ai... c’est pas le problème de fois (E : <hm hm) mais quand même il est parti <et il est (E : <hm) il était plus/ plus là (E : hm-hm)

 

Kang explique son choix du passé composé comme relevant du même cas que courir (2) pour lequel elle faisait référence au type de procès du verbe. C’est pourquoi l’enquêtrice parle du verbe (3). Kang ne confirme pas complètement cette interprétation de l’enquêtrice (4). Celle-ci l’interroge sur l’acceptabilité de l’imparfait (5) et dans sa réponse, Kang fait référence à l’aspect perfect (il est parti), avec l’accent mis sur la borne droite du procès. Kang mentionne également le résultat de la fin du procès (il n’est plus là), résultat qui se situe dans le passé, mais exprimé au présent. L’enquêtrice teste ensuite une autre valeur du passé composé que Kang avait verbalisée auparavant, l’unicité d’occurrence de procès (7). Kang invalide cette proposition et insiste sur l’aspect perfect (8) dans sa formule de ‘V passé’ + ‘résultat du procès’. On note que le résultat du procès est exprimé cette fois-ci au passé.

Lors du second entretien, la même analyse motive le choix du passé composé :

 

(Extrait 133) 6-15 L’enfant s’est retrouvé tout seul, il a eu peur et a réussi à partir lui aussi (Kang II, cor.)

K : Ensuite il a réussi à partir lui aussi, il est parti lui aussi, et il n’est plus là. (E : hm…) Donc c’est aussi le passé composé (E : hm)

 

Kang exprime la fin du procès toujours avec le résultat (il n’est plus là) et ce, au présent seul cette fois-ci.

On observe chez Kim la même saisie simultanée de l’aspect perfect et de la borne droite :

 

(Extrait 134) 6-20 Quand la police est arrivée, c’est lui qu’elle a emmené au commissariat (Kim I, fr.)

1 K : Quand il est ressorti de la cabine il n’y avait <personne (E : <hm-hm) il n’y avait plus personne + (E : quand) quand la police est arrivée c’est lui qu’il a emmené au commissariat

2 E : Hm-hm donc là tout est au passé composé parce que tout s’est passé très <vite ?

3 K : <Très vite oui + très vite et.. l’action + finie (rire)

4 E : L’action finie (K : (rire)).

 

L’enquêtrice teste la notion de vitesse de déroulement du procès (2) et Kim l’accepte volontiers (3) et ajoute la référence au fait que le procès est fini (3). Dans le second entretien, Kim emploie un moyen d’expression indirect, la négation de l’aspect imperfectif (-ko it), pour faire référence à l’aspect perfect (-ôt) :

 

(Extrait 6) 6-20 Quand la police est arrivée, c’est lui qu’elle a emmené au Commissariat (Kim II, cor.)

K : Quand elle est arrivée et + comme il n’y avait personne, elle a emmené l’homme, le passant au commissariat. Elle [la police] n’était pas en train de l’emmener [teryôka-ko it-nû-n] mais elle l’a emmené [teryôka-ôt-ta].

 

Contrairement à Kang et Kim, Lee saisit le rôle macro-discursif :

 

(Extrait 135) 6-10 Ce passant a couru à la cabine téléphonique d’à côté (…) (Lee I, fr.)

1 E : Ce passant a couru (L : dans la cabine téléphonique) hm-hm

2 L : Parce que euh...

3 E : Si on disait il courait ++

4 L : Il courait ?

5 E : Oui c’est-à-dire il fait partie du paysage ? ou.. euh

6 L : Non (rire) Hm.. + si il est il a fait euh... hm/ il était en train de faire jogging (E : <(rire)) <ou comme ça ça marche (E : oui) mais (E : <mais..) <hm... sûrement il.. il a pas fait euh.. ah/ il ne faisait pas du jogging (E : hm-hm) en ce mome/ à ce moment là. (E : hm-hm) Il a couru parce qu’il a + qu’il avait hm... aperçi que/ aperçu que cet accident est très grave (E : hm-hm) + et... il a couru pour... informer (E : hm-hm) pour aviser ++ hm... à po/ à la police. (E : hm-hm) ++ Hm... c’est je je trouve que c’est la la suite.. de... l’accident (E : <ah) <l’action + <c’est la suite de (E : <c’est la suite de l’action) l’action (E : hm-hm)

 

Le procès courir est vu comme celui qui suit l’accident. La même référence au rôle macro-discursif est exprimée lors du second entretien, de façon plus explicite :

 

(Extrait 74) 6-10 Ce passant a couru à la cabine téléphonique d’à côté (Lee II, cor.)

L : Ensuite, dans cette situation, (E : hm) le passant court vers une cabine téléphonique (E : hm) euh… euh passé composé. (E : hm) Hm. Parce que c’est une action qui va avoir lieu après. (E : hm)

 

Les trois verbes, réussir à partir, emmener et courir, constituent la trame du même récit. Dans le cas de Lee qui place le verbe sur le plan macro-discursif, la saisie des deux bornes du procès est implicite. Par contre, chez Kang et Kim qui considèrent le verbe seul et qui formulent l’aspect perfect, la prise en compte de la borne droite est davantage manifeste. Mais, dans les deux cas, le récit situé dans le passé facilitant la saisie de la fin du procès, les verbalisations en tant que telles ne nous permettent pas d’évaluer la conscience réelle du bornage chez nos apprenantes. De plus, si l’aspect perfect est bien saisi, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, certains procédés erronés de saisie de la borne droite du procès (élément de la situation, information contenue dans la phrase suivante) montraient le caractère partiellement opératoire de cette notion.

1.1.2. Bornage extrinsèque

Outre le contexte discursif et macro-discursif, la vision globale d’un procès peut être imposée de surcroît par un circonstanciel précisant l’extension de l’intervalle. Dans notre exercice à trous, les verbes 5-3 rester et 4-5 pleuvoir relèvent de ce cas de bornage extrinsèque, notamment, de double bornage.

1.1.2.1. Lee

Nous avons déjà vu dans le chapitre précédent que Lee employait des termes et expressions qui renvoient apparemment à l’inclusion des deux bornes, comme « un point », « fait ponctuel » lors du premier entretien, et « période donnée », lors du second. Les expressions du premier entretien sont associées correctement au passé composé, mais celle du second entretien est verbalisée pour justifier le choix de l’imparfait. Ceci nous suggère que Lee n’avait pas encore repéré la notion de double bornage. L’examen des deux verbes nous permettra de le confirmer. Pour le verbe pleuvoir pendant tout leur voyage du premier entretien, nous disposons seulement de son choix de temps et non de son analyse à cause d’un malentendu sur l’identification du verbe :

 

(Extrait 136) 4-5 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait et il pleuvait pendant tout leur voyage (Lee I, fr.)

1  L : Mais quand ils... sont arrivés à Rennes, (E : hm) il pleuvait et ++ eu ?

2  E : Il pleuvait c’est ça ? et il

3  L : Hm.... il a pleu... pleu... il a plu (E : hm) pendant tout + leur voyage. Il a plu ? Ah non non.

4  E : Il a plu ?

5  L : Non non non.

6  E : C’est <pas ça ?

7  L : <C’est pas ça

8  E : Donc il pleuvait ?

9  L : + Quand il arrivait... quand il arrivait à Rennes, il a\

10 E : Arrivait ? ici ?

11 L : XXX (rire) Quand il arrivait à Rennes il... pleuvait +++ Quand ils sont arrivés à Rennes, (E : hm) il pleuvait (E : hm) et il pleuvait pendant toute leur voyage. (E : hm) (...)

12 E : Donc là, qu’est-ce que tu décides ? Tu décides pour (L : il pleuvait) Ah il pleuvait hein ?

13 L : Hm

14 E : Il pleuvait pendant tout leur voyage parce que <c’est\

15 L : <Par rapport à cette action, (E : hm) c’est... ici, je pense qu’imparfait est plus juste + par rapport cette action.

16 E : C’est-à-dire l’action d’arriver, c’est ça ?

17 L : Hm oui

18 E : L’action d’arriver + c’est-à-dire ici, ça dure longtemps ?

19 L : ++ (E : il a plu <XX il pleuvait) <Ça dure longtemps hm... + Ce qui est important, c’est pas... le longueur. (E : hm) Je crois c’est... c’est une durée + (E : hm) pendant quelqu/ certain temps (E : hm) ça ? (E : hm-hm) et... j’ai choisi (E : hm) l’imparfait. (E : hm-hm)

 

Lors de la lecture à haute voix, Lee choisit d’abord le passé composé pour le second pleuvoir mais change d’avis aussitôt (3-8) et son choix de l’imparfait se confirme en 11. Plus tard, lors de l’examen plus approfondi du verbe, l’enquêtrice demande confirmation de son choix de l’imparfait pour le second pleuvoir (12, 14) mais Lee pense que la question porte sur le premier pleuvoir et expose son analyse (15, 19). Lors du second entretien, le verbe est bien identifié :

 

(Extrait 82a) 4-5 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait et il pleuvait pendant tout leur voyage (Lee II, cor.)

1 E : Le dernier, il a plu pendant tout leur voyage ne serait pas bon ?

2 L : Hm + c’est peut-être possible (rire) +

3 E : Pourquoi c’est possible ?

4 L : Hm… +++ la… cette durée ++ l’adverbe qui indique le temps (E : hm), on peut mettre l’imparfait ou le passé composé selon ce qu’on pense de l’adverbe. (E : hm… pendant) Oui. Hm + Hm + Si on considère le « pendant quelque chose » comme une durée courte (E : hm), par rapport à un autre événement qu’on raconte, la… (E : hm) durée courte, si elle est concrète, (E : hm) on peut dire il a plu, ou si cette durée est liée à l’autre (E : hm) hm… ++ hm alors l’imparfait est peut-être possible. Si on considère la durée comme longue, et si on continue l’histoire, par exemple, on continue le récit de voyage (E : hm), dans ce cas, on pourrait employer l’imparfait.

 

Le choix de Lee étant l’imparfait comme dans le premier entretien, l’enquêtrice l’interroge sur l’acceptabilité du passé composé (1). Elle trouve possible l’emploi de ce temps (2), acceptabilité basée sur la durée absolue et relative de pendant (4). Lee ne mentionne pas l’inclusion des bornes qu’impose le circonstanciel pendant tout leur voyage. Pour elle, il ne comporte que la notion de durée que le locuteur peut interpréter comme longue ou courte (durée absolue), ou qu’il peut mettre en relation avec la durée d’un autre procès (durée relative). Le caractère concret, autre facteur qui semble déterminer pour elle l’emploi du passé composé[183], n’est pas repéré non plus dans le circonstanciel.

Le cas du verbe rester confirme l’absence de la notion de double bornage chez Lee :

 

(Extrait 109a) 5-3 Il restait huit mois à l’hôpital (Lee I, fr.)

1 L : Euh... il restait huit mois à l’hôpital. Quand il... ++ hm.. + quand il en est sorti il était très faible et très maigre. hm... hm... on l’a pas + reconnaît/ +++ (E : reconnaître) on ne l’a pas + reconnu

2 E : (...) Bon. Paul avait + vingt ans quand il... avait XX (L : hm) Et il restait euh... à à l’imparfait ?

3 L : Hm

4 E : Parce que + c’est long c’est ça ?

5 L : Oui

6 E : Hm-hm tu as choisi donc l’imparfait. (L : hm) + Mais tu crois que c’est un cas où on peut aussi euh... mettre le passé composé il est resté + huit mois à l’hôpital

7 L : Mais ça s’est suivi par... + <il est sorti de...

8 E : <Quand il en est voilà il est sorti. On sait qu’il est sorti (L : hm) maintenant. + Donc il y a une relation entre le fait qu’il est sorti et + le fait qu’on sait qu’il est sorti et (L : oui) ++ Bon tu dis que c’est parce qu’il est sorti après que... on peut mettre l’imparfait, c’est ça ?

9 L : Hm.... <hm... (E : <Il restait huit mois) ++++ (E : quand il en est sorti) + il re/ il restait huit mois. (E : hm) Euh pendant... depuis huit mois et le fait qu’il est sorti, (E : hm) ça coupe le durée la durée. (E : hm-hm).

 

Pour le choix de l’imparfait pour rester, Lee fait référence à son schéma d’emploi du passé composé et de l’imparfait, « l’action coupe la durée » (9) : rester correspond à la durée, entraînant l’emploi de l’imparfait, et l’action est repéré dans le procès sortir de la phrase suivante. Parmi les deux possibilités de fonctionnement du schéma, ce cas correspond à la suivante :

            --------------|

(----- : « durée » ou ici, le procès rester, | : « action qui coupe » ou ici, le procès sortir)

 

Le choix de temps verbal se fait ainsi par l’identification de procès correspondant aux entités fonctionnelles (durée ou action) et non par la saisie de la borne droite du procès, ce qui entraînerait le passé composé. Comme dans le cas de pleuvoir pendant tout leur voyage, Lee a recours à la notion de durée relative et ne porte pas son attention au double bornage marqué par le circonstanciel huit mois.

Lors du second entretien, Lee choisit la forme appropriée, le passé composé, par la prise en compte de la borne droite seule de l’intervalle :

 (Extrait 137) 5-3 Il restait huit mois à l’hôpital (Lee II, cor.)

L : Ensuite la dernière fois[184], j’avais dit il…/ il restait il est resté, n’est-ce pas ? Mais hm… ce n’est pas mal non plus de dire il/ il est resté (E : hm) + parce que il est sorti de l’hôpital. (E : hm) Donc il est resté huit mois, comme ça, je pense que c’est possible. Ensuite hm… <XX

 

Le choix du passé composé est approprié mais Lee s’appuie, pour ce choix, sur le procès sortir de l’hôpital, l’élément apporté par la phrase suivante. Lee prend sortir non pas comme un procès d’action s’opposant au procès de durée comme au cours du premier entretien, mais, de façon plus appropriée, comme de la borne droite du procès rester à l’hôpital. Certes, cette saisie du procès demande le passé composé et cette analyse suffit pour choisir un temps correct. Mais l’analyse plus appropriée est la prise en compte des deux bornes et Lee ne la prend toujours pas en compte dans le second entretien.

1.1.2.2. Kim

Comme Lee, Kim ne semble pas avoir la notion de double bornage extrinsèque :

 

(Extrait 107) 4-5 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait et il pleuvait pendant tout leur voyage (Kim I, fr.)

1 E : Et il

2 K : A plu pendant tout leur voyage <hm...

3 E : <Hm-hm là tu as mis <à l’imparfait aussi

4 K : <Oui oui imparfait <aussi (E : <il pleuvait pendant tout leur voyage ++ hm-hm ++) ça cette phrase aussi on doit remarquer le ver/ euh adverbe pendant peut-être (E : pen<dant ?) <non non

5 E : Tu crois que comme c’est pendant +

6 K : Oui ici c’est pour pour moi euh + bizarre ? hm difficile ?

7 E : <Parce que pendant XXX aussi la durée

8 K : <Je ne je ne peux pas + <ah... (E : <mais...) ++++ hm.. ++++ elle appelait ah... lui ++ à mon avis je/ au début j’ai mis il pleuvait imparfait ++ <hm...

9 E : <Oui à ce moment là à quoi tu as pensé ? (K : ++) il pleuvait pendant tout leur voyage tu as pensé aussi à la durée ? + peut-être

10 K : Oui pendant c’est...

11 E : Pendant ça mar<que la durée

12 K : <Oui oui la marqu/ oui oui (E : hm) durée c’est pour ça j’ai.. j’ai.. mis imparfait mais ++

13 E : Comment <le professeur a expliqué ?

14 K : <Comme le professeur le\ pendant oui il a remarqué pendant tout leur voyage (E : hm) hm... pendant tout leur voyage + c’est déjà euh... ++ c’est déjà le temps + terminé ++

15 E : Ah oui le voyage est terminé

16 K : Oui oui le voyage est terminé c’est pour ça hm... ++ oui passé composé

 

Dans cette séquence, on peut entrevoir ce qui a motivé chez Kim le choix de l’imparfait pour pleuvoir lors du passage du test. Comme pour le choix de l’imparfait pour téléphoner (6-11 Pendant qu’il téléphonait, la voiture a filé), Kim repère pendant (4, 10) comme marqueur de durée (12), analyse anticipée par l’enquêtrice (11). Cette analyse est incompatible avec le passé composé qu’elle sait être la forme appropriée, d’où la réaction de Kim en 6 (« bizarre », « difficile »). L’enquêtrice interroge sur l’explication de son professeur (13) et Kim se souvient qu’il a repéré, lui, le circonstanciel temporel, pendant tout leur voyage. On note qu’il attribue au circonstanciel l’aspect perfect (« le temps terminé ») au lieu du double bornage (14). Lors du second entretien, on assiste à une double acceptation :

 

(Extrait 138) 4-5 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait et il pleuvait pendant tout leur voyage (Kim II, cor.)

1 K : Ensuite pendant leur voyage, il a plu tout le temps. Je pense que les deux sont possibles.

2 E : Hm… dans ce cas, il doit y avoir une différence de sens ? non ?

3 K : Il pleu pleuvait il a plu (bas) ++++ Ah c’est-à-dire, comment dirais-je, le point temporel ? En tout cas pendant tout leur voyage, si on regarde que du point de vue de ce voyage voyage, seulement de ce… point temporel, l’action de pleuvoir est continuelle, c’est l’état où ça continue, donc on utilise l’imparfait. (E : Ah) Ensuite le deuxième où le passé composé est aussi possible, c’est pendant tout leur voyage, c’est-à-dire qu’on parle ici après que le voyage soit déjà terminé, n’est-ce pas. (E : hm) Parce que s’il restait encore quelques jours de voyage, on n’aurait pas dit pendant TOUT. Mais là maintenant le voyage est + ils ont terminé le voyage donc. (E : hm) De ce point de vue, il a plu, (E : <XXX) <ce n’est pas la continuation mais le passé composé oui. ++++

4 E : Si on te demandait de choisir ?

5 L : Si on me demandait de choisir, (E : hm) peut-être il vaudrait mieux choisir le passé composé. (E : ah…) (rire) Parce que juste avant, il y a l’imparfait.

6 E : Ah… parce que il ne faut pas trop dire la même chose <(rire) (K : <oui (rire))

 

Lors du second entretien, Kim admet d’emblée la double possibilité (1). L’imparfait est vu acceptable non par référence à l’indice de durée, mais à la « continuité » du procès (3), l’aspect imperfectif. Le passé composé est jugé également acceptable par Kim (3) qui se base sur l’aspect perfect (« on parle ici après que le voyage soit déjà terminé »), montrant son assimilation de l’input métalinguistique de son professeur de français. Il est également à noter que pour le choix final du passé composé, Kim recourt à un effet stylistique (5), en l’occurrence, l’évitement de la répétition. Kim garde sa propre analyse (vision de continuité du procès, aspect imperfectif) tout en conservant l’explication de son ancien professeur : la nouvelle connaissance, même si elle vient d’un natif et de quelqu’un de plus compétent, ne remplace pas automatiquement l’ancienne connaissance moins appropriée. Le non-choix qui est à l’origine de la double acceptation peut être l’incertitude quant à la validité de sa propre analyse, et en même temps, celle à l’égard de l’input métalinguistique. L’adoption incomplète de l’explication de son professeur se manifeste dans le fait que sa décision finale ne se base sur aucune des deux analyses. Dans ces réflexions de Kim, la référence au double bornage est absente.

Pour le verbe rester, Kim avait choisi l’imparfait lors du passage du test comme pour pleuvoir pendant tout leur voyage :

 

(Extrait 53) Il est resté huit mois à l’hôpital (Kim I, fr.)

1  E : (...) Donc ensuite il est ?

2  K : Resté (E : hm) huit mois à l’hôpital

3  E : Hm d’accord et là tu as mis au début à... (K : restait) parce que c’était ?

4  K : Huit mois <euh...

5  E : <Huit mois ?

6  K : Oui

7  E : C’est ton/ donc ça a duré longtemps ? <c’est ça ?

8  K : <Longtemps oui ++ et + oui si on + on voit on... envisage seulement cette phrase (E : hm) il restait huit mois à l’hôpital c’est.. c’est bien ça aussi c’est n’est-ce pas

9  E : Il restait à l’hôpital... il restait huit mois à l’hôpital ++ je crois que... <oui pourquoi pas ?

10 K : <Non ? oui oui <(rire) (E : <(rire)) + la phrase suivant il a déjà il est déjà sorti de l’hôpital c’est pour ça l’hospital/son... a.. son hospitali-té (E : hm-hm) est + <terminé  (E : <hospitalisation) <est termi/ hospitalisation est <terminée (E : <terminée)

11 E : ++ Ah donc c’est par rapport à la phrase suivante (K : oui oui oui) que tu..

12 K : Ah non au début de/ (E : au début) je n’ai pas.. pensé (E : comme ça) la... la.. (E : la phrase suivante) la phrase suivante (E : hm)

13 E : Mais.. c’est main<tenant que tu penses à ça ?

14 K : <Maintenant oui

15 E : Hm ++

 

Kim témoigne que son choix de l’imparfait était dû à huit mois, porteur de la notion de durée (4). Connaissant la bonne réponse (2), Kim expose ensuite ce qui fonde l’emploi du passé composé en s’appuyant sur la phrase suivante : l’aspect perfect avec l’accent mis sur la prise en compte de la borne droite (10). Mais lors du second entretien, Kim semble avoir oublié cette connaissance :

 

(Extrait 61a) 5-3 Il restait huit mois à l’hôpital (Kim II, cor.)

1 K : Ensuite il est resté [mômurû-ôt-ta] il restait [mômurû-ko it-ôt-ta] huit mois à l’hôpital. ++ Hm ++++ Oui ça aussi, on peut voir comme un verbe continu donc restait.

2 E : Parce que c’est un peu long ?

3 K : Oui c’est un peu long. (...) Hm… + parce que le verbe rester lui-même a un sens (rire) qui dure assez longtemps. L’état de rester ne s’arrête pas brusquement comme ça, n’est-ce pas ? le verbe ?

 

Au lieu de l’aspect perfect, Kim se montre sensible à la notion de durée et ce, non dans huit mois, mais dans la sémantique du verbe rester (1, 3). La notion de bornage, même partielle, n’est pas considérée, alors que dans le même entretien pour le verbe pleuvoir, Kim avait eu recours à l’aspect perfect. En effet, c’est à propos de ce verbe que son professeur avait donné l’explication basée sur l’aspect perfect. La saisie d’un procès ne se fait donc pas toujours de manière identique, même pour les procès du même type d’intervalle : elle semble, chez Kim, tributaire des éléments de l’énoncé. Les bornes de l’intervalle ne rentrent aucunement dans sa considération du procès.

1.1.2.3. Kang

Kang se montre différente des deux autres apprenantes. Lors du premier entretien, elle emploie comme Lee des expressions « un point », « le temps précisé » faisant référence au bornage. L’examen des deux verbes montrera qu’elle inclut réellement les deux bornes dans la saisie du procès. Nous rappelons que, par une erreur de l’enquêtrice, nous ne disposons pas de verbalisations de Kang du premier entretien pour ces verbes (pleuvoir, rester) pour lesquels elle a bien choisi le passé composé. Regardons ses commentaires du second entretien.

 

(Extrait 49) 4-5 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait et il a plu pendant tout leur voyage (Kang II, cor.)

1 K : Mais il a plu pendant tout leur voyage. Donc (E : hm) le premier pleuvait, quand ils sont descendus du train, il pleuvait

2 E : (...) Hm + euh… donc + alors si on dit il a plu ?

3 K : Le/ le… un + hm + dans un temps donné [juôji-n sikan-an-esô]. (E : hm) il a plu constamment [kesok pi-ka neri-n-kô]. Et il ne pleut plus maintenant. + Il n’a plu que pendant ce voyage, pendant leur voyage, (E : hm) et quand le voyage a fini, le voyage… euh il a pu pleuvoir encore, mais en tout cas, ce qui est sûr, (E : hm) c’est qu’il a plu continuellement pendant la période du voyage [voyage ha-ôt-tô-n kû kikan tongan-e kesok pi-ka neri-n kô]. (E : hm)

 

Pour Kang, ce n’est ni la notion de durée, ni l’aspect perfect qui motive son choix du passé composé, mais bien la prise en compte des deux bornes de l’intervalle dans sa saisie du procès (3). Le même type de commentaire est observé pour le verbe rester :

 

(Extrait 50) 5-3 Il est resté huit mois à l’hôpital (Kang II, cor.)

1 K : Et puis ici… pourquoi j’ai utilisé il est resté, le passé composé, c’est parce que huit mois, il y avait une période donnée [ju-ô-ji-n sikan-i it-ôt-ki ttemune]. (E : hm) Ensuite quand il en est <sorti\

2 E : <Dans ce cas, il restait est possible ? comme le cas de tout à l’heure. Il restait

3 K : ++

4 E : On peut penser que, avec cette durée assez longue, on peut mettre l’imparfait ? (bas)

5 K : Il est resté il restait (bas) ++ Je pense que huit mois, c’est pas si long que ça. (E : hm) Vu le contexte global de cette phrase, juste il restait restait (bas) +++ ou bien une explication de situation/ Si on veut dire restait, il faudrait peut-être un peu plus de description de la situation, ou il restait ++ il restait +

6 E : Il restait huit mois à l’hôpital et puis il faut autre chose, c’est ça ?

7 K : Oui. +

8 E : Quel genre de chose <faut-il ajouter ?

9 K : <Par exemple, il restait en pleurant pendant + il restait en (bas) hm… en désespérant. (E : hm) de/ de tout désespoir. (E : hm) ++ XXX (bas) Je pense qu’on ne dirait pas restait parce que avec huit mois, le temps est déterminé [sikan-i ttak jôngha-ô-ji-ô-it-ki ttemune]. (E : hm) Oui. Il vaut mieux dire il est resté. (E : O.K.)

 

Pour son choix du passé composé, Kang fait référence à l’intervalle déterminé (1). Malgré le piège tendu par l’enquêtrice avec la demande d’acceptabilité de l’imparfait (4), Kang revient à son choix qu’elle considère comme seul possible et en se basant toujours sur la saisie des deux bornes de l’intervalle signalé par huit mois.

Il arrive à Lee et Kim de tenir compte d’une seule des bornes de l’intervalle, notamment de la borne droite dans le cadre de l’aspect perfect. De plus, dans cette prise en compte de la borne droite, Lee et Kim se montrent irrégulières : dans le même entretien, si elles font référence au bornage pour certains verbes, elles ont recours à une autre notion pour d’autres. Ce comportement montre qu’elles n’ont pas identifié cette notion. Seule, Kang prend en compte les deux bornes et de façon systématique.

1.2. Non-inclusion des bornes dans l’imparfait

1.2.1. Non-inclusion des bornes intrinsèque dans la saisie d’un procès

S’agissant d’un procès du passé, un procès à l’imparfait est un procès théoriquement commencé et fini au moment de locution. Mais dans un contexte discursif, l’imparfait qui saisit une portion de l’intervalle entre ses deux bornes, n’inclut pas celles-ci à un moment repère donné. Le choix de cette vision partielle est dépendant de la lecture du procès dans son contexte discursif et macro-discursif. Si l’on observe chez nos apprenantes la prise en compte des bornes de l’intervalle pour l’emploi du passé composé notamment lors du second entretien, la non prise en compte des bornes n’est pas verbalisée, sauf chez Kang.

1.2.1.1. Lee

Lee choisit l’imparfait pour être très faible et très maigre dans les deux entretiens.

 

(Extrait 139) 5-5 Quand il en est sorti, il était très faible et très maigre (...) (Lee I, fr.)

1 L : Et puis hm... en ce moment là, hm... hm... ++ hm... situation non

2 E : Etat, c’est ça ?

3 L : Etat ? état ou.... XXX ah non hm.. +++ (E : état) +++ Ou on dirait état, mais y a une nuance <euh...

4 E : <Oui mais c’est aussi un état qui change aussi parce qu’il il resterait pas toujours il ne reste pas toujours faible... + Donc il était très faible et très maigre

5 L : C’est plutôt pour ++++ exprimer expliquer cette situation. (E : hm) + Hm a/ adverbe ah/ adjectif ++ euh... euh <quarac/ qualifier (E : <caractériser) Oui quali/ + caractériser ? non + qualifier ?

6 E : Hm-hm + hm oui

7 L : Caractériser (E : caractériser) oui

8 E : Caractériser son état de ce moment là (L : hm) ++ C’est-à-dire euh... même si c’est pas c’est sûr que c’est pas une action, donc par rapport à l’action, on peut dire que c’est un état mais aussi + c’est un état + qu’on caractérise ça (L : hm) + c’est pour ça + euh... imparfait ?

9 L : Oui ++ je mets imparfait

 

Lee explique son choix de l’imparfait par son rôle discursif : « explication de la situation » (5). La même analyse est effectuée lors du second entretien :

 

(Extrait 69a) 5-5 Quand il en est sorti,il était très faible et très maigre (Lee II, cor.)

L : Ensuite on décrit la… situation [sanghwang], hm… hm… son état [sangthe], (E : hm) donc on emploie + l’imparfait, (E : hm) il était très faible.

 

L’imparfait est vu comme ayant la fonction de « décrire la situation » et elle ne porte pas son attention au bornage.

1.2.1.2. Kim

Pour le présentatif il y a, Kim choisit sans difficulté l’imparfait :

 

(Extrait 81a) 2-4 Il y avait énormément de monde dans le train (...) (Kim I, fr.)

1 E : Il y avait énormément ++ donc on voit que quand il y a l’expression il y a c’est souvent au.. ++ à l’imparfait

2 K : Imparfait oui <oui (E : <hm) ++ oui (E : ouais) +++ (rire)

3 E : Dans le train et il n’a pas pu + trouver de place assise hm-hm +++ donc là aussi le passé composé ? (K : hm) hm +++++

4 K : Oui l’action successive c’est.. peut-être ai accompagné et n’a pas pu (E : hm-hm) je l’ai accompagné à la gare/ (E : hm-<hm) <à la gare et après + et... j’ai vu (E : hm-hm) qu’il n’a pas + pu trouver de la/ + place assise

5 E : Hm-hm ça c’est <c’est ça les.. les actions.. ?

6 K : <Oui oui + <je crois

7 E : <Donc il y avait du monde et il y avait beaucoup de baga/ ah il avait beaucoup de bagages <donc ça c’est pas de l’action ?

8 K : <C’est pas /za/ ++ l’action c’est pas.. (E : c’est la hm) + c’est... l’état (E : hm-hm) oui ++

 

Kim oppose les procès marquant l’action qui constituent la trame (4) à ceux marquant l’état (8). Dans ses termes action, état, désignant les rôles discursifs de procès, on ne saurait déceler avec certitude la saisie des bornes de l’intervalle. Lors du second entretien, Kim emploie le même terme :

 

(Extrait 140) 2-4 Il y avait énormément de monde dans le train (...) (Kim II, cor.)

K : Ensuite + une fois arrivé là-bas, il y avait, l’état [sangthe] où il y avait du monde. (...) Hm quand je l’ai accompagné (à la gare), c’était une situation [sanghwang] où il y avait trop de monde. (E : hm)

 

Kim parle de « l’état » et de la « situation » en adoptant toujours l’optique discursive, sans orienter son attention vers le bornage.

1.2.1.3. Kang

Kang ne fait pas d’exception : pour le même type de procès d’état, avoir des bagages, elle se situe au niveau discursif comme les deux autres apprenantes :

 

(Extrait 36) 2-2 Il avait beaucoup de bagages et ses skis sur l’épaule (Kang I, fr.)

1 E : Qui partait pour Chamonix et après il ?

2 K : Avait

3 E : Avait beaucoup de bagages et ses skis sur l’épaule bon pourquoi ?

4 K : Parce que c’est un état (E : hm.. hm) on... euh +++ XX (bas) le parleur ? (E : <hm ?) <comment on dit

5 E : Le ?

6 K : Par/ XXX (bas)

7 E : Ah.. le locuteur ?

8 K : Hm le locu<teur (E : <celui qui parle) oui le locuteur (E : hm) ++ /dekriv/ (E : hm-hm) son état (E : hm-hm)

 

Kang emploie comme Lee et Kim le terme « état », et l’expression « description de l’état ». Lors du second entretien, elle exprime toujours le rôle d’arrière-plan en parlant de l’« explication de la situation » :

 

(Extrait 4a) 2-2 Il avait beaucoup de bagages et ses skis sur l’épaule (Kang II, cor.)

K : Il avait beaucoup de bagages (E : hm) On explique la situation, sa situation [sanghwang] (E : hm)

 

On constate que toutes nos apprenantes adoptent de façon naturelle la vision discursive pour des procès d’état lorsqu’ils fonctionnent en imperfectif ou en procès incluant selon d’autres points de vue. Les trois procès pour lesquels elles choisissent l’imparfait ont pour moment repère un procès au passé composé (sortir de l’hôpital pour être faible, accompagner à la gare pour il y avoir du monde, et rencontrer pour avoir beaucoup de bagages). A ces moments repères, chacun des procès est saisi partiellement, en excluant les deux bornes de l’intervalle. Mais aucune des trois informatrices ne verbalisent la non-inclusion des bornes.

Kang porte néanmoins son attention au bornage d’intervalle lors des deux entretiens pour d’autres types de procès, pour lesquels l’enquêtrice a demandé l’acceptabilité de l’imparfait, temps non choisi par elle. Ainsi, lors du premier entretien, pour 6-15 réussir à partir (extrait 56), l’imparfait marque qu’« il n’y a pas de finition », et lors du second entretien, pour 6-10 courir à la cabine téléphonique (extrait 57), l’imparfait désigne le fait que « l’action de courir ne s’arrête pas » : son attention porte sur le bornage, notamment, sur l’absence de la borne droite. De même, dans le même second entretien, pour 6-12 filer (extrait 58), l’imparfait signifie qu’« elle ne fait que s’enfuir », en se référant à l’exclusion des deux bornes.

1.2.2. Non-inclusion des bornes extrinsèques

Il existe dans l’exercice à trous un seul exemple où la non-inclusion des bornes, la vision partielle du procès, est imposée par un autre élément de l’énoncé que le temps verbal. Il s’agit du verbe 6-11 téléphoner.

1.2.2.1. Lee

 

(Extrait 141) 6-11 Pendant qu’il téléphonait à la police, la voiture a filé (Lee I, fr.)

1  E : D’accord donc pendant qu’il téléphonait là + pas de d’hésitation ?

2  L : Oui (rire)

3  E : Et pour toi c’est il y a que ça comme solution ?

4  L : Ouais

5  E : Pendant qu’il téléphonait la voiture a filé + a filé + c’est-à-dire c’est une action qui... s’est passé, c’est ça ?

6  L : Ouais

7  E : Pendant qu’il a téléphoné, est-ce qu’on peut dire ça ?

8  L : Pendant qu’il a téléphoné ? (E : hm) ++ hm.. (E : pendant qu’il a téléphoné, la voiture a filé) ++ Hm c’est mieux.

9  E : C’est mieux ? Hm pendant qu’il téléphonait pourquoi parce qu’il y a euh... quand on téléphone il y a une durée ? ou... est-ce que c’est parce qu’il y a une.. (L : hm...) une idée de <durée ?

10 L : <Préposition pendant ?

11 E : Ah oui c’est à cause <de ça ?

12 L : <C’est... (E : c’est pendant) c’est pas + c’est pas + justement à cause de ça mais (E : hm-hm) pendant souvent s’accorde avec.. impar<fait ou l’environnement (E : <l’imparfait ?) <de la situation. (E : <hm-hm hm-hm) Et euh... et normalement euh après il.. + on va avoir passé composé ou <quelque (E : <hm-hm) quelque chose (E : hm-hm) qui est causé par l’accident (E : hm-hm)

 

Lee ne se laisse pas déstabiliser sur son choix de l’imparfait ni par la demande de considération du passé composé (7), ni par l’anticipation de l’enquêtrice quant à ce qui fonde son choix de l’imparfait dans la notion de durée (9). Lee se base sur la fréquence de combinaison entre la « préposition pendant » (10) et l’imparfait ou le rôle discursif d’arrière-plan (12). De plus, ce rôle annonce un procès au passé composé. On note que Lee prend seulement pendant et non pendant que comme indice de l’imparfait et que l’analyse sous-jacente est toujours discursive et non de bornage. Lors du second entretien, la même référence au rôle discursif est observée :

 

(Extrait 142) 6-11 Pendant qu’il téléphonait à la police, la voiture a filé (Lee II, cor.)

1 L : Ensuite euh… ++ pendant + qu’il téléphonait, la voiture a filé (E : hm hm). La situation [sanghwang] où cette personne téléphone, parce que pendant ce temps là [kû sikan-tongan-e], (E : hm) la voiture voiture la voiture a filé, passé composé. (E : hm) ++ Ou bien (E : hm) si on va chercher plus loin, pendant que la voiture filait [tomangka-ko it-nû-n saï-e], cette personne a téléphoné [-ôt]. (E : hm) Mais normalement on ne parlerait pas comme ça.

2 E : De ce point de vue, ça peut être <l’imparfait ?

3 L : <Parce que hm + parce que le conducteur a filé quand il a vu que le passant était parti téléphoner.

4 E : + Hm <c’est ça

5 L : <Il a dû s’enfuir après le diagnostic de la situation et après s’être dit qu’il devait filer. Ou si le passant avait vu filer la voiture, il aurait été en train de noter son numéro d’immatriculation au lieu de téléphoner <(rire)

6 E : <(rire) Ça, ça dépend de ce qu’il considère comme urgent.

7 L : Ou il est là en disant je m’en fous. (rire) + Donc je pense que le premier serait correct. (E : hm)

 

La reformulation de Lee (1) montre la bonne compréhension de la situation, la non-inclusion des bornes du procès téléphoner au moment repère, celui où la voiture file. Mais son analyse se situe toujours au niveau discursif et elle n’aborde pas la question de bornage. Ensuite Lee considère d’elle-même le cas inverse où filer devient le moment repère et où téléphoner devient le moment de la situation dont on parle (1). Elle porte son attention sur l’ordre des procès (3, 5) et le bornage n’est pas thématisé.

1.2.2.2. Kim

Kim choisit le temps approprié lors des deux entretiens, mais avec une analyse différente :

 

(Extrait 108a) 6-11 Pendant qu’il téléphonait, la voiture a filé (Kim I, fr.)

1 K : Pendant pendant qu’il téléphonait la voiture a filé

2 E : Ah alors <là (K : <oui) tu as mis imparfait ?

3 K : Oui

4 E : Parce que ?

5 K : Pendant que (E : <pendant que) <(rire) c’est très (rire) <clair (...)

6 E : C’est-à-<dire (K : <euh.. ) comme il y a pendant c’est-à-dire y a... une durée ? <c’est ça ?

7 K : <Durée oui

8 E : ++ Donc s’il y a une durée on marque <l’imparfait (K : <hm-hm) ++ pendant qu’il téléphonait la voiture +

9 K : A filé (E : hm-hm) oui

 

Kim se base, pour le choix de l’imparfait, sur le segment pendant que en le prenant comme indice (5) de l’imparfait. La notion sous-jacente anticipée par l’enquêtrice, la durée (6), est approuvée et répétée par Kim (7). Pour cette anticipation, l’enquêtrice a repris la notion de durée que Kim attribuait souvent auparavant : « le sourire + a un peu duré » (extrait 87), « au moment où c’est un peu... le sens de la durée » (extrait 13). Elle anticipe et en même temps vérifie si Kim emploie encore cette notion dans son choix de l’imparfait. Il est à noter qu’à la différence de Lee qui ne repère que pendant, Kim saisit pendant que. Dans le second entretien, le même choix de l’imparfait semble basé sur une lecture discursive du procès téléphoner :

 

(Extrait 143) 6-11 Pendant qu’il téléphonait, la voiture a filé (Kim II, cor.)

K : Et après son arrivée, il téléphone. Pour cette situation [ko sanghwang-e]. (E : hm) j’ai mis l’imparfait. Pendant qu’il téléphonait [ha-ko it-nû-n tongan-e]. (E : hm) la voi/ voiture s’est enfuie [-ôt].

 

1.2.2.3. Kang

A la différence des deux autres, Kang fait référence au bornage lors du premier entretien, mais il s’agit d’une prise en compte des deux bornes au lieu de leur non-inclusion :

 

(Extrait 48a) 6-11 Pendant qu’il a téléphoné, la voiture a filé (Kang I, fr.)

1  K : Pendant qu’il a... téléphoné (E : qu’il a téléphoné) la voiture + filait

2  E : (...) Pendant qu’il A téléphoné la voiture FILAIT ++ pendant qu’il a téléphoné +++

3  K : Pendant que il a/ ah il a téléphoné il a cou/ il a coupé ? (E : oui <donc il a) <il a + (E : raccroché <oui) <il a fini (E : oui il a fini) + pendant ce moment là la voiture filait (E : hm) <encore encore encore (E : <hm hm)

4  K : (...) La/ la voiture a filé (E : oui) euh... justement pendant <qu’il... (E : <sort) a téléphoné (E : ah...) justement pendant qu’il a téléphoné il a téléphoné pendant dix minu/ minutes (E : oui) la voiture aussi euh... filait justement pendant dix minutes (E : ++ ah bon ?) hm + <et après il est sorti (E : <mais XX\) après il est sorti (E : oui) euh... la voiture (...) +++ si si si c’est comme ça (rire) (E : oui) il faut dire voiture s’est filé ah se/ /e/ filé +++

5  E : Ah d’accord donc tu veux mettre comme ça ? là <./e/ filé ?

6  K : <Hm + parce que le sens est changé (...)

7  E : Donc /e/ filé c’est-à-dire comme tu as dit tout à l’heure le monsieur il sort et la voiture elle part c’est <ça ?

8  K : <Est déjà/ est déjà partie

9  E : Ah elle est déjà partie ? (K : hm) donc\

10 K : Pendant dix minutes (E : oui) la voiture est déjà partie

11 E : Ah.... d’accord ++ pendant qu’il télé\

12 K : <Mais ça se passe pendant dix minutes (rire)

13 E : Hm ++ donc on ne voit plus la voiture après <la... (K : <hm) quand il a fini le... (K : hm) téléphone (K : hm) on ne voit plus la voiture alors c’est ça ? (K : hm)

14 E : (...) Donc là ici c’est à peu près la même... structure quand pendant qu’il a téléphoné la voiture filait donc là aussi donc tu tu mettrais pas pendant qu’il TELEPHONAIT par exemple la voiture là tu as mis /E/ filé parce que

15 K : + Non on peut pas mettre pendant qu’il tél/ a téléphoné [téléphonait]

16 E : Téléphonait ? pourquoi ?

17 K : Pendant qu’il a téléphoné parce que c’est comme ça (rire)

18 E : Ah bon ? mais pourquoi c’est comme ça ? (rire) non parce que tu dis que <ça dépend de narrateur

19 K : <Est-ce que euh... le/ le/ non ici c’est... c’est... absolu

20 E : Ouais ah bon ? ouais ? pourquoi ?

21 K : Parce que le temps est précisé (E : ah)

 

Au début, Kang avait compris le sens de filer comme défiler et choisit le passé composé pour téléphoner et l’imparfait pour filer (1). Le choix du passé composé pour le procès téléphoner est dû à sa saisie qui inclut les deux bornes (3, 4). Les deux protagonistes s’aperçoivent du malentendu sur le mot filer et l’enquêtrice explique son sens. Après la bonne compréhension du mot, Kang change de choix pour le passé composé (4-6). Indépendamment de ce changement, le procès téléphoner est toujours vu en entier avec ses deux bornes, comme le montre le circonstanciel pendant dix minutes (10, 12), durée fictive de la communication téléphonique totale, mais qui explique la saisie globale du procès. L’enquêtrice l’interroge sur l’acceptabilité de l’imparfait (14) et Kang la refuse catégoriquement (15) en disant que c’est un cas « absolu » d’emploi du passé composé (19) : elle se base, pour ce jugement ferme, sur la saisie des deux bornes du procès, exprimée par l’expression, « le temps précisé » (21). Kang confond sans doute ‘pendant que + proposition’ qui n’inclut pas les bornes de l’intervalle et ‘pendant + SN’ (ex. pendant tout le voyage) qui les inclut. Lors du second entretien, elle corrige cette erreur :

 

(Extrait 24a) 6-11 Pendant qu’ il téléphonait, la voiture a filé (Kang II, cor.)

1 K : (...) Pendant qu’il tél… ++++++++ pendant qu’il téléphonait (E : hm) la voiture /e/ filé

2 E : Pendant qu’il téléphonait, ça c’est l’im<parfait\

3 K : <Ça ça c’est le plus bizarre. (E : hm) Pendant pendant qu’il… (E : téléphonait) pendant qu’il a téléphoné, la voiture est (bas) Parce que la voiture + /e/ filé, ça c’est sûr, parce qu’elle est partie et n’est plus là. (E : hm) Mais pendant qu’il… cette situation est, la voiture s’est enfuie dans la situation où cette personne téléphone, n’est-ce pas. (E : hm hm) La voiture ce.. ce… quand cette ++ voiture s’est enfuie, (E : hm) le temps du téléphone, c’était pendant le temps que cette personne, ce passant téléphonait. (E : hm hm) C’est pour ça que j’avais dit quand il téléphonait, mais (E : + hm) ah pendant qu’il téléphonait (E : hm hm)

4 E : Donc tu l’as dit pour exprimer qu’il était <en train de ? (K : <oui oui) mais maintenant, tu crois que pendant qu’il a téléphoné est aussi possible, c’est ça ?

5 K : + Oui mais/ Mais pendant qu’il a téléphoné pendant qu’il est XX (bas) pendant qu’il (bas) ++ pendant + pendant qu’il… a (E : pendant qu’il a téléphoné) pendant qu’il XXX (bas) pendant qu’il XXX Je ne sais pas trop. Pendant qu’il a téléphoné, ça fait un peu bizarre aussi. (E : hm) Je pense que ça ne marche pas. + Hm. ++ Je te l’ai dit tout à l’heure. Quand on utilise pendant, la phrase principale est dans la plupart des cas, au passé composé. Mais quand on + met le passé composé, pour que l’action du passé composé puisse avoir lieu, il faut qu’il y ait un + un… temps, (E : hm) il faut qu’un espace de temps soit donné. (E : hm) Cette personne était en train de téléphoner, (E : hm) quand on dit pendant pen/ pendant qu’il a téléphoné, juste au moment où il téléphonait, (E : hm) la voiture s’est enfuie, donc euh (E : hm) euh je ne sais pas, euh c’est comme si juste au moment où la personne a… a pris le combiné, en pas plus d’une seconde, euh, (E : hm) la voiture s’est enfuie ou... (E : hm) Alors que cette personne a dû rester un moment à parler au téléphone. (E : hm) Avant que la voiture s’en aille, XXX cette personne devait être déjà en train de faire le numéro, et même après le départ de la voiture, elle a dû rester encore au téléphone. (E : hm) ++++

6 E : Quand on dit pendant qu’il a téléphoné, c’est vraiment à la seconde, la voiture s’enfuit et aussi (K : hm hm) Donc, c’est un peu… + c’est rare qu’il y ait ce genre de chose ? (K : hm…)

 

Tout en choisissant l’imparfait après une longue pause (1), Kang trouve ce cas « le plus bizarre » de l’exercice (3). Visiblement, elle hésite entre les deux formes. Car immédiatement après elle essaie le passé composé à haute voix (3). Kang reformule la situation, analyse que c’est bien le rapport d’inclusion qui relie les procès téléphoner et filer, et que, du même coup, le procès téléphoner est saisi dans son déroulement. Elle conclut que son choix de l’imparfait pour téléphoner est approprié (3). L’enquêtrice demande confirmation sur cette lecture imperfective (4) et Kang l’approuve. Ayant senti une forte hésitation de la part de Kang, l’enquêtrice anticipe et demande confirmation sur l’acceptabilité du passé composé (4). Kang ne tranche pas et essaie encore le passé composé à haute voix (5). D’abord, elle manifeste des signes d’indécision (je ne sais pas trop). Ensuite elle le trouve « bizarre », et juge finalement le passé composé non acceptable. Derrière cette hésitation, nous sentons la présence de la notion de double bornage à laquelle elle avait recouru lors du premier entretien : le temps de la communication téléphonique était vu comme un intervalle limité, entraînant le choix erroné du passé composé.

Depuis le premier entretien, Kang a acquis des connaissances et analyse la situation de façon appropriée, ce qui la permet de faire un choix de temps correct. Mais elle semble sentir ce conflit entre deux notions. La nouvelle connaissance supplante l’ancienne notion erronée et elle opte pour l’imparfait. En guise d’argument, Kang expose une connaissance métalinguistique (5), selon laquelle dans une phrase avec pendant, la proposition principale prend le passé composé et que lui, il nécessite un « espace de temps » (arrière-plan). Ce schéma correspond en effet à la phrase en question, dans laquelle téléphoner fonctionne comme l’« espace de temps » pour l’action de la phrase principale, filer. La corrélation entre pendant et le passé composé avait été avancée également par Lee qui avait suivi les mêmes cours de français avec Kang, avec le même professeur.

Néanmoins, Kang exprime ce qu’elle perçoit lorsque le procès téléphoner est mis au passé composé : la simultanéité des phases inchoatives des deux procès (la prise du combiné simultanément avec la fuite de la voiture). Cette explicitation d’une situation très exceptionnelle rend caduc l’emploi du passé composé et renforce davantage sa vision d’inclusion entre intervalles et son choix de l’imparfait pour téléphoner (5)

En général, nos apprenantes ne verbalisent pas l’absence de prise en compte des bornes véhiculée par l’imparfait. Seule Kang verbalise cet aspect dans les cas de procès d’activité ou bornés.

1.3. Cas particulier de bornage

Du point de vue du bornage, l’imparfait marque la non-prise en compte des bornes de l’intervalle occupé par un procès situé dans le passé. Mais dans certains cas, il est employé pour saisir la borne droite d’un procès, comme pour le cas d’attendre dans Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : « je t’attendais ». Le procès ouvrir la porte joue non seulement le rôle de fermeture de la borne droite de l’intervalle d’attendre, mais aussi celui de son moment repère. L’imparfait saisit ici la quasi-totalité de l’extension de l’intervalle sauf sa borne gauche. Cette configuration peut se présenter comme dans le schéma suivant :

 

            -----------------------] |

] : fin du procès causée par ouvrir la porte

 

attendre

| : moment de locution pour l’énoncé « je t’attendais »

 

Une autre particularité du cas d’attendre est l’extrême proximité entre la borne droite et le moment de locution, et c’est ce qui le distingue du cas de dormir dans Je dormais quand mon fils m’a téléphoné hier soir, qui lui peut se présenter comme suit :      

 

 

 

hier

 

aujourd’hui

 

 

///////////////////////////////////

++++++++++++++++++

 

 

            ----------------

            | : moment de locution

 

 

 

dormir

 

           

           

 

                       

 ] : téléphoner qui interrompt le procès dormir

 

1.3.1. Lee

Lee effectue un choix correct de l’imparfait lors du premier entretien :

 

(Extrait 144) 3-4 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Lee I, fr.)

1  E : Donc phrase trois, quand + il... hm hm la porte et elle lui + hm

2  L : + Hm... +++++++++ hm + quand il a ouvert la porte (E : hm) elle lui souriait + elle lui a /surie/ et elle lui a dire elle lui a dit je t’attendais euh ici je sais pas <très bien. (...)

3  E : Et lui là, il n’y a pas de... confusion ? (L : XXX) C’est pas elle lui disait ou je t’attendais ? (L : hm) Et c’est pas je t’att/ je t’ai attendu ?

4  L : Hm (=non) +

5  E : Pourquoi ?

6  L : Je t’ai attendu + normalement, on ne dit pas comme ça, n’est-ce pas ? Dans dans la conversation quotidienne. (E : hm) Je t’attendais je t’ai attendu je t’attendais hm je/ + (...)

7  E : Hm hm hm sinon donc je t’attendais tu donc y a pas de...

8  L : Je t’ai attendu c’est c’est (E : c’est <possible ?) <c’est possible <grammaticalement.

9  E : <Dans ce/ oui grammaticalement bien sûr on peut conjuguer à (rire) à l’imparfait ou à au passé... composé mais dans ce contexte là, qu’est-ce qui est le mieux ?

10 L : Je je pense <que... (E : <Donc je t’attendais) imparfait et (E : hm) je m’a/ euh.. + je m’adap/ c’est + à cette réponse (E : hm)

11 E : Alors si je dis si par exemple, imaginons que ça se passe ici maintenant. (L : hm) Euh.. je t’attends et tu es entrée et je dis je t’ai attendu. Est-ce que ça veut dire quelque chose quand même ?

12 L : Je t’ai attendu (E : hm) mais je veux plus at/ t’attendre. (rire) (E : ah bon ? (rire)) C’est comme ça (rire) si on chante euh... quelque situation comme ça. (E : hm) Hm... je t’ai attendu, c’est le/ c’est la rupture n’est-ce pas ?

13 E : C’est la rupture, c’est-à-dire, maintenant je ne t’attends plus (rire) ? (L : hm) Mais c’est normal parce que il est arrivé. +++ (L : (rire)) Hm ?

14 L : Hm ?

15 E : C’est normal parce qu’il est arrivé donc... + je ne t’attends plus <euh... ?

16 L : <Oui oui. (E : <donc voilà) <Tu... tu es arrivé mais c’est fini c’est trop tard pour... (...)

17 E : Donc si on te dis ça, pour toi ça signifie plutôt ça hein ?

18 L : Hm

19 E : Hm alors que je t’attendais ?

20 L : Euh... si on par/ si on dit euh je t’ai attendu ah/ je t’ai attendu, (E : hm) je pense que ça serait un pers/ une personne très ++ très claire très... qui parle très... clairement (E : ah <bon ?) <très correctement.

 

Lors de la lecture à haute voix, Lee exprime son incertitude pour (sans doute) sourire (2). Pour le verbe attendre pour lequel elle choisit l’imparfait, l’enquêtrice l’interroge sur l’acceptabilité du passé composé (3) et Lee le trouve inacceptable en se basant sur l’input « naturel » (« Je t’ai attendu normalement, on ne dit pas comme ça, n’est-ce pas ? Dans la conversation quotidienne ») (6), mais le trouve néanmoins acceptable grammaticalement (8). En conclusion, l’imparfait lui paraît mieux (10). A la demande sur la différence de sens (11), Lee s’exprime, pour le passé composé, en terme d’intention d’arrêter le procès (12) que l’enquêtrice interprète comme l’arrêt du procès lui-même, en prenant en compte la borne droite (13). Lee approuve cette interprétation et place la fin du procès attendre avant l’ouverture de la porte (16). Lorsque l’enquêtrice souhaite aborder l’imparfait (19), Lee témoigne de l’effet ressenti du passé composé (« je pense que ça serait une personne qui parle très clairement ») (20). Et l’enquêtrice oublie de l’interroger sur l’imparfait. Lors du second entretien, Lee change de choix pour un temps erroné :

 

(Extrait 129) 3-4 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’ai attendu (Lee II, cor.)

1  L : Le fille voit le garçon

2  E : Reconnai/ + elle a souri

3  L : Et elle a souri (E : hm) Ensuite + elle dit je t’ai attendu [-ôt] (E : hm) je t’ai attendu [-ôt] plutôt que je t’attendais[-ko it-ôt]

4  E : Hm ah ici c’est mieux je t’ai attendu [-ôt] ?

5  L : + On pourrait dire les deux

6  E : On peut dire je t’attendais aussi ?

7  L : Hm.

8  E : On peut dire je t’attendais (L : hm) et je t’ai attendu (L : hm) + Hm alors quels sont les sens ? quelle est la différence de sens  entre je t’attendais et je t’ai attendu ?

9  L : Si on dit je/ je t’attendais (E : hm), ah non je t’ai attendu (E : hm) semble hm… + plus ++ hm… + volontaire [jom tô ûitojôk-i-l kôt kat-û-n kô] que je t’attendais (E : + volon<taire [ûitojôk]) <un peu (E : hm…) Je crois que j’ai parlé la dernière fois des choses dynamique ou passive quelque chose comme ça. (E : hm) +

10 E : Avec le passé composé, j’attendais (L : hm) avec une intention certaine d’attendre ?

11 L : Euh j’ai l’impression qu’il y a plus de volonté

12 E : Il y en a beaucoup plus et si on dit je t’attendais ?

13 L : ++ C’est un peu vague [jom makyônha-n]/ + C’est (E : hm) un peu vague [makyônha-n kô it-jyo]

14 E : Hm euh <on est pas sûr qu’il vienne ?

15 L : <Il peut venir comme ne pas venir

16 E :  Mais on a attendu pour voir, c’est ça ? (rire)

17 L : Ou alors… hm ++ hm + oui (E : hm) ++

 

A la lecture à haute voix, Lee choisit la bonne forme, l’imparfait : je t’attendais. Ensuite, au moment du commentaire sur ce verbe, elle a recours à sa langue maternelle où elle oppose l’expression marquant l’aspect perfect (-ôt) à celle marquant l’aspect imperfectif (-ko it), et elle choisit la forme du perfect qui lui semble plus appropriée à la situation (3). L’enquêtrice demande confirmation (4) et Lee y répond cette fois-ci en acceptant les deux formes (6). Sans que Lee l’explicite, l’enquêtrice comprend que Lee établit une équivalence entre d’une part, le morphème coréen -ôt et le passé composé français, et d’autre part, le moyen périphrastique coréen -ko it-ôt et l’imparfait. Ce glissement entre deux langues semble opérer chez les deux protagonistes. Tout en comprenant ce glissement et cette mise en correspondance entre deux langues, l’enquêtrice demande confirmation sur l’acceptabilité des deux temps en formulant les deux formes verbales en français, pour s’assurer qu’il s’agit bien des temps français dont Lee parle (6). La réponse affirmative de Lee (7) confirme l’hypothèse de l’enquêtrice et l’enquêtrice demande la différence de sens (8). La différence des deux formes est formulée par Lee en terme d’effets ressentis (9-13). Lee ne fait aucune référence aux bornes de l’intervalle, ni pour le passé composé, ni pour l’imparfait.

1.3.2. Kang

Kang choisit également un temps différent aux deux entretiens :

 

(Extrait 51) 3-4 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’ai attendu (Kang I, fr.)

1  E : Donc là je t’attends hein ? elle a dit je t’attends est-ce qu’on peut dire + je t’ai attendu ?

2  K : Oui on on peut dire

3  E : Par exemple ?

4  K : On peut dire

5  E : On peut dire ça ? donc ça n’a pas de différence entre je t’attends il ouvre et elle sourit hm <je t’attends

6  K : <Peut-être ce serait mieux je je t’ai attendu

7  E : Ou je t’ai attendu

8  K : Je t’ai attendu parce que finalement il est venu

9  E : + Ah oui donc elle attend plus maintenant (K : hm-hm) c’est ça ? + je t’ai attendu ++ ou alors je t’attendais ?

10 K : (rire) Je t’attendais +

11 E : C’est possible ça ?

12 K : +++ Non non c’est pas possible parce que s/ l’act/ l’action attendre <ça.. (E : <hm) c’est c’est fini

 

Après le premier choix du présent (1), à la demande d’acceptabilité du passé composé, Kang le trouve d’abord acceptable (4) et ensuite plus approprié (6). Elle fait référence à la borne droite du procès et le justifie par le fait pragmatique, l’arrivée du garçon (8). Pour l’imparfait dont l’enquêtrice demande l’acceptabilité (9), Kang le refuse catégoriquement en ayant recours plus explicitement à la borne droite (« l’action attendre c’est fini ») (12).

Lors du second entretien, Kang choisit d’emblée la forme appropriée, l’imparfait :

 

 

(Extrait 145) 3-4 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Kang II, cor.)

1 K : ++ Hm euh oui. Elle lui a souri (E : hm) + c’est ça lui a dit je t’attendais + Oui.

2 E : Je t’attendais, qu’est-ce que c’est ?

3 K : + Je t’ai attendu XXX (bas) +++ C’est-à-dire ++ Les deux semblent possibles aussi. Je t’ai attendu, je t’ai attendu Si/ ah oui mais c’est mis entre guillemets (E : hm) c’est ce qu’elle dit à l’homme dans la situation n’est-ce pas. (E : hm) Elle (E : hm) c’est-à-dire ++ Je crois que c’est je t’attendais je t’attendais.

4 E : Je t’attendais, c’est quoi ? elle a attendu dans le passé… + comment ça se passe ?

5 K : ++ Je t’attendais je t’ai attendu (bas) je t’attendais (bas) je t’ai attendu est aussi possible peut-être. J’ai attendu jusqu’à présent, et finalement tu es là donc (E : hm)

6 E : Hm quand on dit je t’ai attendu, ça veut dire ça ?

7 K : Hm

8 E : Alors si on dit je t’attendais ?

9 K : ++ Je t’attendais jusqu’à main/ je… je t’attendais jusqu’à maintenant comme ça (E : hm) J’ai + je suis j’ai resté ici euh pendant pendant quelque temps (E : hm) + (Voi)là je suis encore là (E : hm)

 

A la simple demande de l’enquêtrice sur la valeur de l’imparfait (2), Kang considère d’elle-même le passé composé et accepte la double possibilité (3) avant de pencher de nouveau pour l’imparfait (3) pour accepter encore le passé composé (5). Ce va-et-vient entre les deux temps montre la difficulté d’analyse qu’elle éprouve. L’acceptabilité du passé composé est fondée sur la même analyse que celle du premier entretien : la prise en compte de la borne droite du procès attendre par la venue du garçon (5). L’emploi de l’imparfait est justifié par la valeur apparemment opposée exprimée en français : la continuité du procès jusqu’au moment de locution (9) expliquée aussi bien par l’emploi de l’imparfait lui-même (« je t’attendais jusqu’à maintenant ») que par le passé composé, accompagné d’une autre phrase marquant la continuité de la présence de la personne, l’ensemble fonctionnant comme l’équivalent de la phrase à l’imparfait (« je suis restée et je suis encore là ») (9). De plus, le marquage de la borne droite est également exprimé comme pour le passé composé (« je t’attendais jusqu’à maintenant »). Dans les deux cas, Kang analyse la venue du garçon comme fermant l’intervalle du procès attendre. La différence est ainsi difficile à distinguer mais on sent une fermeture de la borne droite quelque peu atténuée dans le cas de l’imparfait.

1.3.3. Kim

Par rapport à Lee et à Kang qui choisit un temps erroné sur un des deux entretiens, Kim n’éprouve aucune difficulté et opte pour l’imparfait lors des deux entretiens :

 

(Extrait 55) 3-4 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Kim I, fr.)

1  E : (...) Et donc là après elle a dit je t’attendais

2  K : Oui ça aussi durée la durée <oui

3  E : <Hm ça c’est.. un peu <facile n’est-ce pas ?

4  K : <Sûr oui oui facile <très facile oui

5  E : <Je t’attendais <hm (K : <oui) ++ sinon + on peut pas dire je t’ai attendu ?

6  K : ++ On peut pas +

7  E : Je t’ai atten<du

8  K : <Attendu ? (E : hm) je t’ai attendu ? ++

9  E : Je t’ai <attendu

10 K : <Ah.. je t’ai attendu ++++++ hm ++

11 E : Je t’ai attendu ++ tak quand il ouvre la porte je lui dis (bas)

12 K : La.. durée (E : je t’ai attendu) ++ la durée il y a deux... sortes de durée

13 E : Deux sortes de durée oui

14 K : Ah je crois (E : hm) oui mon ma pensée (E : hm-hm) et <pas XX (E : <c’est-à-dire quel) hm (E : de) + et je/ je t’attendais (E : hm) c’est à partir de quel.. il y a à partir de/ ++ à partir de (E : hm-hm) à partir de (rire) à partir d’il y a non ++ hm ++++ euh à partir depuis ? (E : hm-<hm) <ah non depuis depuis quelque.. quelque temps ou quelques heures (E : hm-hm) ++ et jusqu’à maintenant

15 E : Où + il ouvre la porte c’est ça ?

16 K : + Oui c’est... la durée a/ euh ++ (E : <c’est-à-dire il a\) <avant et maintenant (E : hm-<hm) <d’avant et à maintenant (E : hm) et deuxième..

17 E : Ça c’est la première <durée c’est ça ?

18 K : <Premier <durée

19 E : <Et deuxième durée c’est quoi ?

20 K : <Deuxième durée à partir de maintenant et un peu après + <durée (E : <hm-hm) eh... + durée après

21 E : (...) <Mais ce que tu as mis je t’attendais (K : hm) tu as pensé à cette première durée ? ++ de.. +

22 K : Oui

23 E : Oui ?

24 K : Premier durée

25 E : (...) <Euh.. ce que tu dis là les deux durées (K : hm) c’est ce que tu penses... depuis longtemps ? ou ou tu as pensé ça tout de suite maintenant seulement ?

26 K : Maintenant

27 E : Maintenant ? hm

28 K : (rire) Parce que euh.. quand tu m’as.. tu m’as... (E : hm) questio/demandé entre deux temps (E : ah oui <attendais et j’ai attendu ? hm) <oui + hm (E : hm) hm +

29 E : Tu as pensé à ça ?

30 K : Oui (rire) (E : hm) +++

31 E : Et donc de toute façon euh là tu choisirais ça toujours je t’attendais ?

32 K : Oui hm ++ quand utilise-t-on euh je t’ai attendu (E : hm) quand ? (à elle-même)

33 E : Quand est-ce qu’on utilise <ça ?

34 K : <Hm

35 E : A ton avis ? <ton hypothèse

36 K : <Hm + je t’ai attendu (E : hm) ++++ oui je t’ai attendu c’est euh +++ euh.. ++++++ oui oui une personne qui parl/ parlant ? (E : hm-hm) parlant hm hm je t’ai attendu (E : hm) +++ euh +++ oui attendais ça.. ça/ + ça se passe.. + jusqu’à maintenant (E : hm-hm) + depuis longtemps ou.. (E : hm) avant (E : hm-hm) ++ mais + ah ++++ oui mais euh (E : hm) je t’ai attendu (E : hm) euh.. le passé composé c’est PAS jusqu’à maintenant (E : hm-hm) + euh depuis longtemps et ++ hier ou avant-hier (E : hm-hm) oui pas ++ maintenant le/ le moment deux deux personnes se parlent (E : hm-hm) pas pas + (E : hm ?) pas le moment ah pas... le moment +++ hm...

37 E : Donc le moment où la personne dit je t’ai attendu (K : hm ah) à ce moment là (K : hm) je ne t’attend plus c’est ça ? c’est <c’est fini ?

38 K : <Oui c’est ça + oui c’est <fini

39 E : <Je je ne t’attends plus

40 K : Je je ne t’attends plus (E : hm) ++++

41 E : Hm-hm

 

Kim déclare que son choix de l’imparfait pour attendre est dû à la durée qu’il exprime (2), et à la demande de considérer le passé composé (5), elle le juge non acceptable (6). Elle expose par la suite ses idées sur « deux types de durées » (12) : celui qui inclut le moment de locution comme dans le cas d’attendre avec l’imparfait (« attendais ça se passe jusqu’à maintenant ») et celui qui ne l’inclut pas, qui s’exprime au passé composé (« je t’ai attendu le passé composé c’est PAS jusqu’à maintenant », « pas maintenant le moment deux personnes se parlent ») (36). La différence des deux temps ne semble pas résider dans le bornage, même si l’expression du bornage droit pour le passé composé est plus net (« c’est fini », « je ne t’attends plus ») que celle pour l’imparfait (« ça se passe jusqu’à maintenant »), dans laquelle jusqu’à maintenant donne néanmoins la limite de l’extension de l’intervalle. Kim porte son attention plutôt sur la différence d’inclusion du moment de locution dans la saisie de l’intervalle. Elle est ainsi la seule informatrice qui conçoit et exprime cette configuration particulière de l’imparfait. Lors du second entretien, Kim choisit toujours l’imparfait :

 

(Extrait 146) 3-4 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Kim II, cor.)

1  E : O.K. alors je t’attendais ?

2  K : Dans ce cas là, sans aucune hésitation, je choisirais imparfait.

3  E : Parce qu’elle attendait jusqu’à maintenant ? (K : oui) Alors on ne peut pas dire je t’ai attendu ?

4  K : Comme XX est arrivé maintenant

5  E : Il est arrivé et cet homme ouvre la porte et la femme dit en souriant je t’ai attendu je t’ai attendu (bas)

6  K : Ça peut vouloir dire pourquoi tu es venu ? je ne t’attendais plus. <(rire) (E : <(rire)) Je t’attendais [kesok kitari-ko it-ôt-ta]. Et quand on dit je t’ai attendu, c’est-à-dire je ne t’attendais pas mais merci d’être venu quand même <(rire) (E : <(rire)) Ça a l’air un peu exagéré mais (rire) (E : (rire)) En tout cas je comprends comme\

7  E : Donc ça veut dire que je suis dans l’état où je ne t’attends plus, c’est ça ? quand on dit je t’ai attendu ? Dans ce cas, je t’ai atten/ je t’ai bien attendu <mais

8  K : Je t’avais attendu [kitari-ôtôt-ô] comme ça. (E : ah) Je t’attendais [kitari-ôtôt-nûnte] mais (E : hm) mais comme tu ne venais pas, j’avais abandonné [phokiha-ko it-ôt-ta] (de t’attendre). (E : hm XXX) A ce moment là, tu es venu.

9  E : Ah c’est comme ça.

10 K : + Je pense qu’il faut ajouter des commentaires comme ça pour moi.

11 E : Ah c’est-à-dire en français les deux sont possibles ? ou non ?

12 K : + Les deux sont possibles. (E : hm) hm.

13 E : Les deux sont possibles mais <le sens est

14 K : <C’est possible mais le sens est ++ Ou alors avec le passé composé, l’action [tongjak] est relativement terminée [jôngni-ka twe-ta] donc de ce point de vue, ici, quand on dit je t’ai attendu, (E : hm) c’est, je t’ai attendu [kitari-ôt-ô]

15 E : Ah en coréen c’est je t’ai attendu [kitari-ôt-ô]

16 K : Hm.

17 E : Et quand on dit je t’attendais ?

18 K : J’étais en train de t’attendre [kitari-ko it-ôt-ta], ah je t’attendais tout le temps [kesok kitari-ko it-ôt-ô], (E : hm) j’étais en train de t’attendre tout le temps [kitari-ko it-ôt-ô kesok], c’est ça le sens.

 

Dans ce second entretien, c’est toujours avec une grande facilité que Kim choisit l’imparfait (2). L’enquêtrice anticipe son analyse, approuvée par Kim et l’interroge sur l’acceptabilité du passé composé (3). Kim rappelle d’abord l’arrivée du garçon (4) et avance que le procès attendre est borné à droite, fini au moment de la venue du garçon (6). Pour bien marquer l’antériorité de la fin du procès, Kim emploie le double -ôt (8). L’enquêtrice l’interroge sur la double acceptabilité en français (11) et Kim répond à l’affirmative (12). Et elle explique la différence des deux temps : avec le passé composé, la borne droite de l’intervalle est incluse dans la saisie du procès (14) et avec l’imparfait, les deux bornes ne sont pas prises en compte. Dans ces explications en coréen, on observe par ailleurs que Kim établit une équivalence entre le passé composé et le -ôt coréen (14-16) d’une part, et l’imparfait et le -ko it-ôt (18) d’autre part.

En définissant l’emploi du passé composé en terme de bornage, et celui de l’imparfait en terme d’imperfectivité, Kim effectue le traitement habituel pour le procès attendre : la non-prise en compte de ses deux bornes. La lecture en terme d’imperfectivité est possible en effet si le procès attendre est saisi entre ses deux bornes au moment repère (ouvrir la porte). Même si la fin du procès attendre est imminente, causée par l’arrivée du garçon, on peut concevoir attendre comme un procès toujours en cours au moment de l’ouverture de la porte comme dans le schéma suivant :

           

-----------------|--||

 

                       

attendre

 

 

 

                        | : ouvrir la porte

 

 

                         

|| : moment de locution

 

Mais Kim considère que le procès attendre continue au moment même de locution, comme le montre son commentaire dans la séquence consacrée à sourire : « elle n’a pas fini d’attendre au moment où elle dit, je t’attends même maintenant ».   

Pour ce cas particulier de bornage pris en charge par l’imparfait, Kang et Lee qui choisissent un temps erroné sur un des deux entretiens, effectuent une analyse clairement orientée sur le bornage seulement pour l’emploi du passé composé. Celui de l’imparfait fait l’objet d’une analyse timide, peu distincte du passé composé chez Kang. Kim propose des analyses plus élaborées lors des deux entretiens, correspondant à deux possibilités de conception de l’intervalle : borné à droite seulement ou non borné des deux côtés.

1.4. Quel bornage ?

Si beaucoup de verbes de l’exercice à trous ne posent pas de difficultés pour les informatrices, plusieurs verbes font l’objet de double acceptation (le passé composé et l’imparfait jugés tous deux acceptables), qu’elle soit spontanée ou qu’elle soit obtenue par l’interaction avec l’enquêtrice après sa demande d’acceptabilité du temps non choisi. La double acceptabilité est due à des analyses concurrentes que nos apprenantes considèrent de poids égal, entraînant l’emploi de l’un et l’autre temps, sans considérer toujours le contexte discursif. Les verbes concernés sont souvent des verbes d’état ou assimilés (d’autres types de verbes précédés d’un verbe modal). Le double choix indique une non-décision concernant la vision des procès, elle-même basée sur la non-considération des bornes de l’intervalle. Nous examinerons quelques verbes qui font l’objet de difficultés de décision auxquelles sont confrontées toutes nos apprenantes à un moment donné.

1.4.1. Ne pas pouvoir ralentir

Pour ce verbe, regardons les commentaires de Kang :

 

(Extrait 103a) 6-4, 5, 6 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé (...) (Kang I, fr.)

1  E : Donc ensuite quand il est arrivé au carrefour il n’a pas pu ralentir et tombé sur l’avenue d’Italie + bon là tu as mis tout au passé composé hein + c’est-à-dire est-ce que c’est une description ou pas ? + <XX

2  K : <Description (E : oui) et... en même temps c’est\

3  E : Ça se passe rapidement c’est ça ?

4  K : Oui c’est un description oui ça se passe rapidement (E : hm) en même temps c’est un f.../ + c’est un fait réel (E : hm...) et +++ (E : <quand il est arrivé) <qui s’est/ qui s’est passé hier (E : hm-<hm) <et/ on a vu (E : hm-<hm)  + <on a vu tous (E : hm-hm) ensemble +

5  E : On a vu tous ensemble c’est-à-dire, le narrateur et ++ qui ? qui on ?

6  K : C’est-à-dire les f/ on et tout le monde qui<... (E : <hm) qui était là (E : hm) et... +++ voilà + oui voilà c’est... c’est plus objectif.

7  E : Hm... ah alors si je disais quand il ARRIVAIT au carrefour il ne pouvait pas ralentir si jamais je dis ça c’est-à-dire que ce n’est pas tout le monde qui a vu mais... c’est... + peut-être il y a d’autres gens qui ont... vu mais c’est plutôt moi je ne pense pas donc aux autres peut-être il y en a qui l’ont vu aussi comme moi mais c’est moi qui euh... + qui veux exprimer mon point de vue c’est ça ? Par exemple quand j’utilise le... l’imparfait (K : hm) ++++ Donc quand on met l’imparfait on a l’impression de... ++ voir uniquement le point du vue du narrateur et pas les autres + qui étaient peut-<être là-bas

8  K : <Pas uniquement mais plus

9  E : Hm... plus + <donc quand il\ (K : <hm...) Hm c’est ça que tu as.. tu ressens comme différence ?

10 K : Je pense que quand il est arrivé au carrefour (E : <au carrefour) il ne pouvait pas /ralâtize/ <c’est ce qui est mieux

11 E : <Il ne pouvait pas ? c’est mieux ?

12 K : Hm

13 E : Hm c’est-à-dire que/ bon/ Quelle est la différence ? si on met il ne pouvait pas et il n’a pas pu ?

14 K : Ça aussi s... s... hm... sa situation ? (rire)

15 E : Sa situation ? c’est-à-dire, il ne pouvait pas

16 K : Hm + il a (E : <mais hm) essayé encore encore mais il ne pouvait pas.

17 E : Ah... donc ça montre que il a il a essayé ?

18 K : Hm. (...) si.. si on /metr/ (E : hm) si on /metr/ (E : hm) il il n’a pas pu (E : hm) c’est-à-dire il n’a pas pu (bas) (E : hm) il a essayé (E : hm) et.... quelque/ il a essayé trois fois et (E : hm) quatre fois (E : hm) et... il a trouvé que c’est... c’est inutile c’était inutile (E : hm) donc + (...)

19 E : Donc si on dit il ne pouvait pas ?

20 K : C’est sa situation XX

21 E : Seulement ?

22 K : Oui non (rire) en même temps XX y y en a plusieurs possibilités. (E : ouais) C’est sa situation (E : oui) et...... le description la description de narrateur et... + voilà le la + le...

23 E : Donc tu as dit tout à l’heure aussi quand on dit il ne pouvait pas c’est-à-dire qu’il a essayé aussi (K : Hm) + euh... plusieurs fois ++ donc pour les deux temps, il a essayé plusieurs fois

24 K : Hm.

25 E : Hm mais... quelle est la différence entre les deux ? est-ce que... il y a vraiment une différence ? ou...

26 K : ++++

27 E : Quand il est arrivé au carrefour il n’a pas pu ralentir (bas) il ne pouvait pas ralentir (bas) ++++ est-ce que toi tu ressens une différence ou pas ? soit temporelle ou + hm... tu crois qu’y a une différence ?

28 K :  +++++++

29 E : Il n’a pas pu ralentir (bas) ++ bon donc toi tu... choisis pouvait pas ? (K : hm) ++ il ne pouvait pas ralentir donc c’est c’est une description ? (K : hm) ++++ il ne pouvait pas ralentir et EST TOMBE sur l’avenue d’Italie ++++ est tombé + c’est ++

30 K : Mais je pense que quand il est arrivé (E : hm) au carrefour au moment au moment là (E : hm) euh... si on /metr/ il n’a pas pu (E : hm) au moment là (E : hm) euh... pendant une seconde (E : hm-<hm) <pendant deux secondes (E : hm-<hm) <il n’a pas pu (E : ah) mais... il ne pouvait pas c’est-à-dire + quand il est arrivé (E : hm) et il est passé au carrefour il/ il... ne pouvait pas ralentir (E : hm) et en en plus il y a le /sâ/ de... sa situation (E : hm-hm) + ah.. + voilà et... est tombé (rire) c’est-à-dire XXX plus objectif que ce.. que l’autre chose

31 E : Que quelle chose ? par exemple il ne pouvait pas ? (K : hm) + attends tu as dit il n’a pas pu c’était c’est juste pendant juste seconde (K : <hm) <quand il est arrivé il n’a pas pu (K : hm) mais quand on dit il ne pouvait pas euh... ça veut dire que ++ c’est pas juste cette seconde là mais + c’est-à-dire ça dure plus qu’une seconde (K : hm) c’est ça ?

32 K : Hm (E : hm...) +

 

Lors de la lecture à haute voix, Kang choisit le passé composé (il n’a pas pu ralentir) et plus loin, lors de l’examen plus approfondi, elle accepte les propositions anticipatrices de l’enquêtrice (description, vitesse) concernant son choix du passé composé unilatéral pour les trois verbes, arriver au carrefour, ne pas pouvoir ralentir, et tomber (2, 4). Les termes description et vitesse sont des reprises et des reformulations de l’enquêtrice des propos antérieurs de Kang (« le passé composé aussi peut dire le description le description qui se/ qui... qui se/ qui s’est pa-ssé non qui... est temporellement très courte »). Ensuite Kang propose elle-même certains effets du passé composé, convergeant sur le caractère objectif (4-8). L’enquêtrice reprend les propos de Kang et elle lui demande confirmation (7), et c’est là que Kang change d’avis en faveur de l’imparfait (10). L’enquêtrice lui demande donc la différence de sens (13). Pour l’imparfait, Kang utilise le terme situation faisant référence au rôle discursif (14) et le reformule en s’appuyant sur la volonté et les efforts de l’enfant pour ralentir (16). Quant à l’emploi du passé composé, Kang introduit la prise de décision chez l’enfant de ne plus essayer de ralentir, donc la clôture de la borne droite du procès correspondant plutôt à celui d’essayer comme elle le dit elle-même, verbe qui n’est pas utilisé dans le texte (18).

L’enquêtrice réitère sa question sur l’emploi de l’imparfait (19). Et cette question qui a pour but de préciser sa réponse nous semble reçue par Kang comme une remarque d’insuffisance et semble provoquer ici chez elle la recherche d’une autre explication du même ordre descriptif (22). L’enquêtrice cherche encore à éclaircir la différence entre les deux formes pour lesquelles Kang a mentionné les mêmes essais multiples de la part de l’enfant (23). Après un long silence (26, 28), au moment où l’enquêtrice semble abandonner la poursuite de la discussion et passer au verbe suivant (29), Kang propose une nouvelle distinction, avec une notion de durée courte impliquée dans le procès pouvoir ralentir au passé composé, et avec le point de vue discursif porté sur l’emploi de l’imparfait (« le sens de sa situation ») qui semble marquer pour Kang une certaine subjectivité, car le passé composé est jugé « plus objectif » (30). L’opposition de durée n’est pas son critère, mais à la question de l’enquêtrice demandant confirmation sur cette opposition (31), elle l’approuve (32).

Ainsi, face à l’incitation de considération de la possibilité non envisagée au départ, et à la demande de précision, le choix initial du passé composé change pour l’imparfait. L’impression de double acceptation vient de la considération des deux temps, suite à la demande sur une différence de sens. La réponse de Kang montre que pour l’imparfait choisi en second lieu, contrairement au passé composé, elle n’a pas recours à la notion de bornage, ni à celle de chevauchement partiel d’inclusion, auxquelles elle fait référence dans d’autres exemples. On observe le même parcours de jugement lors du second entretien :

 

(Extrait 71a) 6-4, 5, 6 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait (Kang II, cor.)

1  K : Quand il… quand il est arrivé au carrefour (E : hm) il n’a pas pu ralentir (E : hm) (...)

2  K : +++ Ça… + hm ces… actions (E : hm) se produisent dans l’ordre n’est-ce pas. (E : Hm…) Il est arrivé, (E : hm) il n’a pas pu s’arrêter, (E : hm) c’est pour ça qu’il est tombé et

3  E : Ces trois sont tous au passé composé ?

4  K : Oui. (E : hm) ++

5  E : Donc ah le fait que c’est dans l’ordre c’est ça. Comment dire, le passé composé

6  K : Ça s’est produit presque simultanément + la situation (E : hm)

7  E : Alors ces événements qui se sont produits dans l’ordre, pour les rendre plus, même s’ils ont eu lieu momentanément, pour les rendre plus vivants, on ne pourrait pas les mettre à l’imparfait ? Quand il arrivait au carrefour, il ne pouvait pas ralentir

8  K : Euh il ne pouvait pas ralentir, ça aussi ça semble possible. (E : hm) XX (bas)

9  E : Mais c’est seulement ça qui est possible et arriver et tomber, ça marche pas ?

10 K : Non.

11 E : Pourquoi ? + Il pouvait peut être à l’imparfait (bas)

12 K : ++

13 E : Quand on dit il ne pouvait pas, on a eu avant il ne pouvait pas, et tu avais dit que c’était la personne qui avait fait une erreur… ou elle n’était pas compétente, il y avait ce genre de choses. <Il ne pouvait pas

14 K : <Hm. Ça…. C’est possible aussi. +

15 E : Quand on dit il n’a pas pu, c’est pas de sa faute, mais c’est la situation et <on ne peut pas faire autrement.

16 K : <Oui. ++ XX il n’a pas pu (bas) il n’a pas pu. Oui ça aussi, c’est correct. (E : hm) En tout cas, le résultat d’une action est (E : hm) oui, présenté après et +

17 E : Hm. Si on peut utiliser il ne pouvait, pour celui d’avant et dans le suivant, on les laisse au passé composé, et dans celui du milieu seulement il ne pouvait, ça aussi, c’est possible ?

18 K : Oui

19 E : Quand il est arrivé au carrefour il ne pouvait ralentir et il est tombé, on peut dire ça <aussi ?

20 K : <Il a tombé (E : il a tombé ?) Il est tombé ? euh il est tombé, oui. +

 

Comme lors du premier entretien, Kang choisit le passé composé pour pouvoir ralentir, sur la base de l’analyse macro-discursive de successivité (2). L’enquêtrice interroge sur l’acceptabilité de l’imparfait pour les trois verbes (7) et Kang parle seulement du verbe pouvoir ralentir pour accepter son emploi (8). A la demande de confirmation (9), Kang répond catégoriquement (10). En l’absence d’analyse de sa part (12), l’enquêtrice lui rappelle une de ses analyses précédentes pour l’imparfait (13) et Kang ne la rejette pas (14). L’enquêtrice tente d’expliquer l’emploi du passé composé en fonction de la valeur de l’imparfait qu’elle vient de rappeler (15) et Kang confirme l’acceptabilité du passé composé (16). Dans la suite, elle présente le procès ne pas pouvoir ralentir comme une action et le procès tomber, comme son résultat, en confirmant la lecture de successivité de ces procès.

On observe un traitement différent sur le même procès selon qu’il est au passé composé ou à l’imparfait : l’inclusion des bornes est effectuée dans la saisie du procès, lui-même considéré dans une succession de plusieurs procès. Par contre, l’absence des bornes n’est pas saisie lorsque le procès ne pas pouvoir ralentir est présenté à l’imparfait. Le fait que Kang n’accepte pas l’emploi de l’imparfait pour les procès voisins (arriver au carrefour, tomber) semble indiquer qu’elle garde la lecture de la successivité, même si elle effectue un traitement différent pour ne pas pouvoir ralentir en lui autorisant un emploi à l’imparfait. Cette double acceptabilité attribuée à ce procès seul semble montrer la non-considération des bornes pour ce type de procès à l’imparfait, même dans un contexte discursif qui nécessite leur prise en compte.

1.4.2. Ne pas pouvoir trouver de place assise

Pour ce verbe, Lee se montre sûre d’elle lors du premier entretien, mais indécise lors du second :

 

(Extrait 44) 2-5 Il y avait énormément de monde dans le train et il n’a pas pu trouver de place assise (Lee I, fr.)

1 L : Il y avait (E : hm-hm) énormément de monde dans le train (E : hm) Et... hm... il n’a pas pu (E : hm-hm) il n’a pas pu trouver le/ place assise (E : hm-hm) (...)

2 E : Mais donc il ne trouvait pas + c’est-à-dire si + il ne pouvait pas trouver par exemple à l’imparfait est-ce que

3 L : A mon avis c’est... plutôt un point quand il est... entré dans le train. (E : hm) Ce point à ce point là, il n’a pas pu trouver une place assise.

 

Le choix de Lee étant le passé composé lors de la lecture à haute voix (1), l’enquêtrice demande de considérer l’imparfait dans la séquence consacrée au verbe (2). Lee confirme son choix en optant pour une vision globale du procès, comme le montrent les expressions « un point », « à ce point-là » (3). Cette vision se base sur son attention discursive et non sur la réelle prise en compte des bornes de l’intervalle comme nous l’avons vu plus haut à propos du « bornage extrinsèque ». Lors du second entretien, Lee adopte spontanément la double acceptation :

 

(Extrait 80a)  2-5 Il y avait énormément de monde dans le train et il n’a pas pu trouver de place assise (Lee II, cor.)

1 L : Il y avait énormément de monde dans le train (E : hm) et +++ euh il a pas pu trouver de place assise (E : hm) ou il ne pouvait pas trouver de place assise

2 E : On peut dire les deux ?

3 L : Hm (...)

4 L : Ensuite, si on dit il n’a pas pu, (E : hm) là aussi le + un moment donné (E : hm) + le... je ne sais pas trop s’il n’a pas pu trouver de place (E : hm) ou il cherche, il cherche mais il ne trouvait pas de place pendant un certain moment. (E : hm...) Donc après hm... cette personne euh/ ce passage est un extrait de quelque chose n’est-ce pas ? (E : hm) Donc s’y a par la suite des actions, on pourrait dire il n’a pas pu et euh... si l’histoire finit ici <comme ça, (E : <l’histoire finit hm) euh... on pourrait dire il ne pouvait pas. Si, dans la suite de l’histoire, on dit qu’il n’a pas pu trouver de place (E : hm) et il est descendu, (E : hm) ++ dans ce cas, (E : hm) + il n’a pas pu serait correct. (E : hm) ++

 

Contrairement à la certitude du premier entretien, dans le second, Lee hésite (1) et n’arrive pas à choisir un temps verbal (3). Elle semble hésiter entre les visions globale et partielle (4) ou ponctuelle et durative, mais on ne peut pas savoir si elle porte réellement son attention sur la saisie différente des bornes qu’impliquent ces visions. La différence perçue et verbalisée est d’ordre macro-discursif. Il s’agit de la présence ou l’absence de suite qui déterminera le choix du temps : l’absence de suite attribuera au procès ne pas pouvoir trouver le rôle de clôture du récit, ce qui entraînera l’emploi du passé composé, et la présence de suite lui attribuera le rôle de constituant du corps du récit, ce qui entraînera l’emploi de l’imparfait (4). Mais l’attention macro-discursive portée sur la suite hypothétique n’est pas appliquée au procès en question. Car dans le récit, le procès ne pas trouver de place assise clôt le récit et selon ses principes discursifs, Lee devrait opter pour le passé composé, et non la double acceptation. On constate que la saisie des bornes du procès n’est pas en soi l’objet d’attention, qu’elle est au mieux subordonnée à lecture discursive et macro-discursive.

1.4.3. Avoir peur et avoir mal

A la différence de Kim et Kang qui choisissent sans difficulté l’imparfait pour ces verbes, Lee hésite dès le début entre les deux temps verbaux :

 

(Extrait 147) 6-14 L’enfant s’est retrouvé tout seul, il a eu/avait peur et a réussi à partir lui aussi (…) (Lee I, fr.)

1 L : L’enfant se trouvait (E : hm-hm) ++ tout seul il a ++ il avait peur il a eu peur +++++ il a eu peur (E : hm) (...)

2 E : Hm tout seul il a eu peur ou il <avait ?

3 L : <Il avait (E : ah il avait peur) Oui (E : hm-hm)

4 L : ++ Hm... il avait peur, (E : hm) on dirait que ah + à mon avis passé composé et... imparfait + tous les deux ça marche <je crois.

5 E : <Hm.. hm mais est-ce qu’il y a une petite différence ? <ou... à ton avis

6 L : <Il a eu peur, c’est (E : hm) plus précisé (E : + ah) précise (E : hm-hm) mais...

7 E : Plus précis dans quel sens ? (L : Hm...) Parce que tous les deux, il a peur ça on comprend. (L : hm) Mais... dans quel sens il est.. plus/ c’est plus précis ?

8 L : ++ A ce moment il a/ il a eu... sûrement peur à cause de <cet accident.

9 E : <Ah.. par/ à cause de l’accident ?

10 L : <Oui.

11 E : <Ou parce que/ sûrement bon il eu l’accident ou à cau/ parce <qu’il était (L : <ah) tout seul ? <XX

12 L : <Il était tout seul (E : hm) et il peut il se peut qu’on... qu’on comprenne qu’il a + fait cet accident <qu’il a causé (E : <Ah... d’accord) cet accident. (E : hm-hm)

13 E : C’est ça qu’on/ comprend ? (L : hm) Quand on utilise le passé composé ?

14 L : Hm

15 E : Ou... quand on dit il avait peur (L : hm) c’est...

16 L : Il avait peur (E : hm) +++ j’ai euh... je pense que ça marche aussi (E : <hm-hm) <parce que

17 E : C’est moins préci<sé mais

18 L : <C’est euh c’est une sen/ sen/ sentiment (E : + ah ha) sentiment personnel. (E : hm-hm) Euh... + la/ euh l’action et sentiment un petit peu... (E : hm-hm) différent à mon avis. ++ Même si... ++++ hm + même celle/ dans.. s/ ++ dans la même temps/ dans le même temps (E : hm-hm) ++ même si il n’avait pas/ même s’il n’avait plus de peur à ce moment/ euh à ce moment là, (E : hm-hm) ça... signifie quelque/ + quelque chose subjectif... (E : hm-hm)

 

Dans le premier entretien, elle hésite entre les deux formes lors de la lecture à haute voix (1) et semble choisir le passé composé. Ensuite lors de l’examen approfondi du verbe, elle choisit l’imparfait (3) avant d’opter pour le double choix (4). Lee détecte des différences entre les deux temps, en se référant à des effets ressentis : il a eu peur est « plus précis » (6), le sentiment de peur étant causé par l’accident (8-14), et il avait peur est possible, ce sentiment étant « quelque chose de subjectif » (19). Lee fait référence également au type de procès et distingue les procès marquant l’action et le sentiment (18). Selon cette classification, avoir peur relève d’un « sentiment personnel » et appelle l’imparfait. Les analyses pour les deux temps étant acceptables pour Lee, celle-ci ne peut pas choisir.

Dans ses analyses sur le passé composé, on décèle l’idée de successivité par la relation cause-réaction. Mais pour l’imparfait, aucune idée effleurant le bornage n’est avancée. Au second entretien, Lee hésite toujours :

 

(Extrait 75a) 6-14 L’enfant s’est retrouvé tout seul et il a eu/avait peur et a réussi à partir lui aussi (Lee II, cor.)

1  L : Il a peur Il avait peur (E : hm) Il a eu peur et il a réussi à partir lui aussi. (E : hm) (...)

2  L : Ensuite ++ il a peur/ si on dit il avait peur il était dans un état continu où il avait peur et hm… + dans cet état là, il a réussi à partir lui aussi (E : hm), là, c’est un événement (E : hm), donc le passé composé. (E : hm) Ou alors (E : hm) si ces trois phrases sont comme des scènes (E : hm) qui se succèdent (E : hm) les unes après les autres, l’enfant se retrouv/ s’est retrouvé tout seul (E : hm) donc ++ il a eu peur (E : hm) comme il n’y a personne, [il se dit] « je ne sais pas ce que je serai » (E : hm) + même s’il a mal. Ensuite + donc + ensuite hm même si ce n’est pas une relation cause-résultat, ensuite il a pu partir, il est parti.

3  E : Hm + ah… donc à chaque fois, l’imparfait l’imparfait, le passé composé le passé composé, mais est-ce que c’est possible ? il se RETROUVAIT tout seul il A EU peur, comme ça ?

4  L : Hm. Je pense que c’est possible.

5  E : Hm c’est possible (L : Hm) Dans ce cas, il s’est retrouvé tout seul il avait peur, c’est possible aussi ?

6  L : Oui

7  E : Hm + Dans ce cas, tout est possible ?

8  L : Hm

9  E : Mais le dernier a réussi c’est le passé composé ?

10 L : Hm (E : hm) Ensuite (E : hm) le/ parce que les deux premiers (E : hm) expriment un état sentimental. (E : hm) Ou bien (E : hm) la situation. Ça ne désigne pas la personne qui se lève et bouge et fait quelques mouvements. (E : hm) Dans ce cas, si on utilise le passé composé, et c’est un peu problématique. (E : hm)

 

Au second entretien, lors de la lecture à haute voix, Lee se montre toujours hésitante en testant les deux temps et semble choisir le passé composé (1). Plus tard, au moment des commentaires sur le verbe, elle propose des analyses fondant la double possibilité : l’emploi de l’imparfait se base sur la saisie d’une nouvelle caractéristique, l’aspect imperfectif, en se référant au procès qui est entamé et qui continue (2). L’emploi du passé composé est jugé possible par une nouvelle référence au rôle macro-discursif de successivité (« si ces trois phrases sont comme des scènes qui se succèdent les unes après les autres »). L’enquêtrice lance la discussion sur différentes possibilités de combinaison de temps pour se retrouver et avoir peur (3-8). Malgré son jugement d’acceptabilité pour l’emploi alterné des deux temps pour ces procès (3-6), Lee tranche pour l’emploi de l’imparfait en se basant sur la classification des types de procès à laquelle elle avait procédé au premier entretien pour le même verbe avoir peur : procès d’action et procès de sentiment (10). Les procès se retrouver tout seul et avoir peur marquant l’« état sentimental », l’imparfait leur convient mieux. Elle ajoute de plus qu’ils jouent un rôle discursif local (« ou bien la situation »).

Comme on a pu observer lors du premier entretien, le passé composé (a eu peur) est lié à la lecture de la successivité mais l’imparfait fait l’objet d’une triple analyse : aspect imperfectif, catégorisation de la sémantique du verbe et le rôle discursif. Dans ces différentes analyses, Lee ne fait pas référence au bornage : même pour l’aspect imperfectif, on n’est pas certain qu’elle y ait recours.

Pour le même type de verbe avoir mal, Lee accepte les deux formes verbales dans les deux entretiens. A la différence du cas avoir peur, pour le procès avoir mal, Lee se contente, jusqu’au second entretien, d’énoncer la méta-règle (le locuteur choisit d’employer l’un ou l’autre temps), sans verbaliser les caractéristiques aspecto-temporelles : « c’est par rapport les gens qui parlent qui /deskriv/ cette situation » lors du premier entretien et « [les deux sont possibles] selon comment on voit la situation, comment on la voit relativement il avait mal sûrement, ou il a eu mal sûrement » lors du second entretien. Si, à juste titre, Lee juge acceptables les deux temps, elle ne les différencie pas à l’aide de notions pertinentes comme le bornage.

1.4.4. Il y avait qu’un seul passant

Kim est la seule à hésiter pour ce présentatif il y a :

 

(Extrait 148) 6-9 Il n’y avait qu’une seule personne à cet endroit là (Kim I, fr.)

K : Il n’y avait il n’y avait qu’une seule personne à cet endroit là (E : hm-hm) oui ++ ce passant a couru (E : hm-hm) dans la cabine téléphonique d’à côté pour appeler police secours (E : hm-hm) + oui il y a pas de problème

 

Lors du premier entretien, comme elle le dit elle-même, Kim choisit l’imparfait sans aucune difficulté. Malheureusement l’enquêtrice ne s’est pas donné la peine de demander pourquoi. C’est au second entretien qu’elle éprouve des doutes :

 

(Extrait 37a) 6-9 Il n’y avait qu’une seule personne à cet endroit là (Kim II, cor.)

1  K : Et dans la situation où cela a eu lieu, aux alentours, il n’y avait per/ ah il n’y avait qu’une personne. (E : hm) Là c’est juste hm ++ l’imparfait qui indique la situation des alentours, l’état du moment où il n’y avait qu’une personne. Il y avait, il y a eu, il y avait ++++ hm… +++++

2  E : Tu hésites pour ça aussi ?

3  K : Oui j’hésite.

4  E : Entre il y avait et <il y a eu ?

5  K : <Je ne sais pas si c’est il y a eu. (...)

6  E : Ce que tu as hésité le plus, c’est il n’y avait + il n’y avait qu’une seule personne <à cet endroit là

7  K : <Il n’y avait/ hm oui

8  E : Dans cette situation/ à… ce moment là, il n’y avait que cette personne. Il n’y a eu qu’une seule personne te paraît aussi possible ? ++

9  K : Mais je change d’avis encore. Je choisirais il n’y avait. (E : hm) Il n’y avait avec l’emploi qui indique l’état <simplement.

10 E : <Hm mais tout à l’heure quand tu pensais que il n’y a EU était possible…

11 K : Ce que je pensais à ce moment là (E : hm) +++ je pensais que c’était possible. (E : hm) Comment expliquer ce sentiment hm…

12 E : De toute façon c’est un passé.

13 K : C’est un passé, on a l’impression que c’est passé, donc c’est du passé (tense) hm. ++ De ce point de vue, (E : hm) il vaut mieux dire que les deux sont possibles. (E : hm) Les deux sont possibles.

 

Kim choisit spontanément l’imparfait à la lecture à haute voix, comme elle l’avait fait lors du premier entretien, avec la référence au rôle discursif d’arrière-plan (1) (« situation des alentours », « l’état du moment où il n’y avait qu’une personne »). Mais immédiatement après, elle doute de son choix et teste le passé composé (1) en se demandant s’il ne serait pas plus approprié (2-5). Ce doute de la part de Kim est inattendu, car les verbes d’état de ce type se combine souvent avec l’imparfait en français et nos apprenantes montrent une grande facilité à les employer à l’imparfait. Ce doute nous semble relever de l’hypercorrection liée au contexte de la tâche. Lors du commentaire plus poussé pour le verbe, l’enquêtrice rappelle son hésitation (6, 8). Et là, Kim prend sa décision. Avec, sans doute, une plus grande attention discursive ou macro-discursive, elle revient à son choix initial, l’imparfait, en faisant référence au rôle discursif d’arrière-plan (« l’emploi qui indique l’état ») (9). Kim n’arrive pas à expliquer pourquoi le passé composé lui paraissait possible (11). En effet, la notion d’état n’explique pas la différence entre le passé composé et l’imparfait : du point de vue du contenu, dans les deux cas, le procès indique l’état où il n’y a qu’une seule personne. L’enquêtrice vient à son secours en rappelant le fait basique qu’il s’agit du passé (12), et Kim manifeste son accord (13). Le fait qu’il y a eu marque le passé lui fait réadopter le passé composé, et les deux analyses plausibles la conduisent à la double acceptation (13).

Sa justification de l’imparfait (état, situation) semble prendre en compte seulement le trait non dynamique du procès et ne tient pas compte de la configuration des bornes de l’intervalle. On constate que c’est bien le mécanisme de mise en perspective que mettent en jeu les deux moments de référence, celui de la vision d’un procès à partir d’un moment repère qui n’est pas repéré par Kim et qui l’aurait aidé à choisir entre les visions globale et partielle.

1.5. Discussion

Le bornage n’est pas la seule notion permettant d’employer les deux temps de façon appropriée : d’autres notions sont aussi pertinentes comme celles de chevauchement partiel d’inclusion et de rôle discursif. Mais dans le cas du double bornage extrinsèque, outre la lecture appropriée du contexte discursif et macro-discursif, la connaissance de la notion de bornage permet de prendre certains éléments de l’énoncé comme indicateurs de la vision de l’intervalle à adopter.

Comme pour tout autre concept qui ne s’oppose que par son existence et son absence, et non par l’existence de deux entités distinctes, la présence des bornes de l’intervalle pour l’emploi du passé composé est plus facile à repérer que son absence pour justifier l’emploi de l’imparfait. De plus, dans le choix du passé composé, nos apprenantes s’appuient plus aisément sur le contexte macro-discursif que dans le choix de l’imparfait, pour lequel elles semblent considérer le procès seul sans le relier au procès précédent ou à celui du moment repère : ce sont aux caractéristiques internes du procès, comme le trait non dynamique, qu’elles portent leur attention.

La non-attention aux bornes (leur saisie ou non saisie) d’un procès se manifeste par la double acceptation, et elle concerne souvent des verbes d’état, comme nous venons de voir. Ce phénomène confirme l’observation de Courtillon (2001) qui a constaté chez des apprenants de français des difficultés communes d’emploi du passé composé pour ce type de procès. Mais comment acquiert-on la notion de bornage ? Parmi nos trois apprenantes, seule Kang repère les indices du double bornage extrinsèque. D’où vient cette attention aux bornes chez Kang ? Nous avançons l’hypothèse que Kang a appris cette connaissance (« s’il y a une période déterminée, on emploie le passé composé ») dans une classe de langue. Les autres ont pu l’apprendre mais l’ont oubliée ou ne l’ont pas apprise. Certaines notions temporelles sont suffisamment générales pour qu’on puisse les retrouver dans différentes langues, donc, aussi bien dans la langue source que dans la langue cible. Le bornage en est un exemple. Mais lorsqu’elles sont discrètes, comme le bornage, l’input métalinguistique n’est-il pas le seul moyen d’acquisition ?

2. Chevauchement partiel d’inclusion

Ce rapport est véhiculé en français le plus souvent par un procès au passé composé relié à un autre à l’imparfait. Quand le procès qui constitue le moment de la situation (procès dont on parle) est à l’imparfait, cela indique qu’il est saisi comme en déroulement au moment repère représenté par le procès au passé composé, c’est-à-dire sans les deux bornes de l’intervalle : les deux intervalles se chevauchent mais partiellement et le procès à l’imparfait inclut celui au passé composé comme le montre le schéma suivant :

procès A

 

[-------------]

 

procès B

 +++++++

{-+-+-+-+-}

+++++++

 

a

b

c

( [-------] : procès A, ++++++ : procès B, {+-+-+-+} : partie chevauchée)

(a : partie non chevauchée antérieure à B, b : partie chevauchée, c : partie non chevauchée postérieure à B)

 

Nous observons que dans certains cas, nos apprenantes saisissent, dans le procès B (procès incluant) ci-dessus, non seulement la portion chevauchée par le moment repère (b) mais aussi la portion précédente (a), ce qui permet de savoir lequel des deux procès a commencé avant, ou encore la portion postérieure (c). Cette prise en compte des parties non chevauchées, notamment de la partie antérieure (a), semble effectuée dans les cas de choix de temps appropriés. Mais les cas d’erreurs montrent que la saisie de la partie antérieure (a) ne se fait pas systématiquement, voire qu’elle n’a jamais lieu en réalité.

2.1. Prise en compte facilitée de la partie antérieure

Dans certains cas, la prise en compte de la partie antérieure semble se faire naturellement sans que nos apprenantes portent leur attention de façon consciente à la configuration générale des intervalles reliés et à leur décalage. Dans le chapitre précédent, nous avions avancé que deux facteurs facilitent la saisie de la partie antérieure à celle en chevauchement : situation familière et structure syntaxique habituelle. Nous examinerons deux exemples de ce cas où, outre ces deux raisons, l’harmonie entre le type de procès et le type de bornage renforce encore la facilité de saisie de la partie antérieure.

2.1.1. Dormir et téléphoner

C’est un cas typique de chevauchement partiel d’inclusion, le verbe d’activité jouant le rôle de l’intervalle incluant, et le verbe borné jouant le rôle de l’intervalle inclus.

2.1.1.1. Lee

Lee choisit les temps appropriés pour les deux verbes :

 

(Extrait 149) 1-1, 2 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir (Lee I, fr.)

1 L : Je dormais (E : hm) quand mon fils me m’a.+ m’a téléphoné (E : hm) d’Australie hier soir

2 E : Hm-hm. Donc là c’est... + dormais + là pa/ euh imparfait et là, passé composé. (L : oui) Hm donc c’est bien ? donc... <pour toi donc

3 L : <Je je trouve que.. il n’y a pas de problème.

4 E : Hm-hm euh... le l’imparfait c’est

5 L : C’est un état (E : hm-hm état) oui

6 E : Et <là ?

7 L : <XX <action

8 E : <Passé composé action ?

9 L : Oui (E : hm-hm).

 

Le choix du temps pour les deux verbes ne pose pas de problème pour Lee (3). L’imparfait pour dormir et le passé composé pour téléphoner ont été choisis pour ce que représentent ces temps : respectivement, « état » (5) et « action » (7). Ces qualificatifs d’ordre discursif portent sur la nature du procès et le lien entre les deux intervalles n’apparaît pas. Ceci est sans doute dû en partie aux questions qui favorisent la considération distincte du procès. Lors du second entretien, on observe une mise en relation claire :

 

(Extrait 26a) 1-1, 2 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir (Lee II, cor.)

1 L : Ça correspond sans problème à ce que j’avais dit au début. J’étais en train de dormir [ja-ko it-ôt-tô-n], hm... c’était un arrière-plan [pekyûng], une situation [sanghwang]. (E : hm) Dans cette situation, euh... il y a eu un événement [sakôn] (E : hm) qui était que mon fils m’a tél/ téléphoné. Il m’a appelé. (E : hm) Comme ça, sans problème, l’événement de téléphone, le fait qu’il a téléphoné est un événement, (E : hm) hm. Ensuite, euh le fait de dormir [ja-ko it-ôt-tô-n kôt] est une situation [sanghwang] + relativement de long terme (E : hm) par rapport à l’appel téléphonique ++

2 E : C’est-à-dire la situation, c’est continu en général ?

3 L : Oui (E : hm)

 

L’expression de l’aspect imperfectif -ko it-ôt pour l’imparfait de dormir est utilisée pour étayer le rôle discursif du procès. Le rapport des deux procès est également analysé du point de vue discursif : arrière-plan et avant-plan. La considération du chevauchement des intervalles se manifeste dans leur comparaison en terme de durée (« le fait de dormir est une situation relativement de long terme par rapport à l’appel téléphonique »). La saisie de la partie antérieure du procès dormir n’est pas explicitée, mais la compréhension de l’antériorité de son début est claire dans sa formulation qui rappelle le schéma :

 

-----------|-----------

ou

-----------|

 

a

 

 

a

 

(------- : dormir ;  | : téléphoner ; a : partie antérieure de l’intervalle incluant, ici, dormir ).

2.1.1.2. Kim

Comme Lee, Kim n’éprouve aucune difficulté pour ces deux verbes :

 

(Extrait 150) 1-1, 2 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir (Kim I, fr.)

1 K : Hm je dormais (E : oui) quand mon fils m’a téléphoné et d’Australie hier soir (E : hm-hm) oui /se/ /se/ /se/.. cette phrase.. est facile

2 E : Ça c’est facile (K : <oui ça c’est fa\) <puisqu’on... a appris aussi souvent (K : oui hm) la.. l’opposition (K : hm-hm) euh ++ je dormais quand mon fils m’a téléphoné hm-hm hier soir O.K.

 

Malheureusement l’enquêtrice se contente de manifester son accord à l’évaluation de la facilité de Kim au lieu de l’interroger sur les raisons des choix. Lors du second entretien, sans sollicitation de l’enquêtrice, Kim expose ce qui motive ses choix :

 

(Extrait 112) 1-2 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir (Kim II, cor.)

K : Oui là dans cette phrase, (E : hm) le téléphone (E : hm) le téléphone a sonné n’est-ce pas ? (E : hm hm) Le téléphone a sonné. C’est un moment très court [aju jjalp-û-n kikan-i-ye-yo]. Quand le téléphone a sonné [jônhwa ulri-ôt-ûl tte] pendant une période très courte [aju jjalp-û-n], j’étais + j’étais en train de dormir [kesok ja-ko it-ôt-tô-n kô], en entendant la sonnerie du téléphone. Donc ça c’était en déroulement [jinhengjungi-ôt-ko], l’état (E : hm) où on fait continuellement l’action de dormir [kesok dormir-han kû sangthe]. (E : hm) Ah c’est un état donc ici il y a à la fois l’état [sangthe] et une action en cours [jingheng].

 

Kim s’appuie sur la notion de durée pour téléphoner, alors qu’elle saisit le procès dormir « en cours », qui exprime en même temps la relation des deux procès. On note également que Kim se rend compte qu’outre le terme « état » faisant référence au caractère non dynamique du procès, celui-ci est également « une action en cours ».

2.1.1.3. Kang

La même facilité de choix s’observe chez Kang :

 

(Extrait 16) 1-1, 2 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir (Kang I, fr.)

1  K : Je dormais quand mon fils (E : hm) m’a téléphoné d’Australie hier soir

2  E : Ah je dormais ça c’est tu as mis à l’imparfait hein ? (K : hm) c’est ça ? et là au passé composé bon pourquoi ? parce que dormais comme tu as expliqué tout à l’heure c’est le.. dans le passé c’est quelque chose qui.. c’est un état ?

3  K : Oui

4  E : C’est ça ? +++

5  K : C’est un état continu (E : hm continu hm-hm)

6  E : Et... téléphoné passé composé c’est.. +

7  K : Parce que dans le passé son fils (E : hm) euh.. a téléphoné une fois (E : ah une <fois) <et.. + tout à coup (rire) (E : hm-hm) ++

8  E : Donc donc le passé composé c’est quelque chose qui.. s’est passé une fois et pas.. tout le temps ? ou souvent ou.. +

9  K : Ça dépend mais.. (E : hm) ++ passé composé on/ peut mettre passé composé ++ (soupir) + dans.. dans dans le dans le cas.. qui qui est fait qui est faite +++ *à un moment précis [sijôm]* (rire) dans ce point + (E : hm ?) dans ce point

10 E : Hm... c’est-à-dire ?

11 K : +++ Dans une point ? <dans une point du temps

12 E : <Ah d’accord ah d’accord donc.. +++ c’est quelque chose qui s’est passé à un moment donné + (K : hm-hm) euh.. hm-hm donc qui ne dure pas c’est ça ? ça ne dure pas longtemps ?

13 K : Non

14 E : C’est.. une action qui se passe ++ très rapidement ?

15 K : Oui

16 E : C’est ça (K : oui) hm-hm + donc et dormir c’est.. + quelque chose qui dure ou quelque chose comme ça ?

17 K : Hm

18 E : +++ Est-ce que on peut savoir si donc c’est le père qui parle n’est-ce pas ? (K : hm-hm) puisque c’est son fils qui a téléphoné est-ce qu’il a commencé à dormir quand ? est-ce qu’on peut savoir dans cette phrase ?

19 K : Non

20 E : Et après quand est-ce que il a il s’est réveillé on ne sait pas ? (rire)

21 K : Non

22 E : Hm ce qu’on sait seulement c’est.. il dormait quand <son fils (K : <il dormait) a téléphoné

23 K : Oui oui (E : hm) peut-être il.. est réveillé par le.. /son/ le /sone/ ?

24 E : Ah... d’accord hm-hm

25 K : Bien sûr il dort il dort et.. son fils (coupure) avant le temps ah avant le temps son fils a téléphoné lui a téléphoné ++ (E : <hm) <postérieur ah antérieur l’antérieur l’antérieur

26 E : Donc qu’est-ce qui est antérieur ?

27 K : ++ C’est / ++ c’est lui qui.. ++

28 E : C’est le père ?

29 K : C’est le père

30 E : Ah donc c’est le père qui.. dormait (K : hm-hm) d’abord et après + le fils a téléphoné c’est ça ? + hm +++ d’accord bon

 

Kang analyse l’imparfait pour dormir comme un « état continu » (5) et le passé composé comme un procès unique (7) et saisi avec les deux bornes (« qui est fait dans ce point », « dans une point du temps ») (9, 11). A la question sur l’ordre des procès (18), elle affirme l’antériorité du début du procès dormir (25, 29). L’analyse de Kang n’a pas changé lors du second entretien :

 

(Extrait 9a) 1-1, 2 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir (Kang II, cor.) 

1 K : Hm. Je dormais (E : hm) A I S (E : hm) quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir

2 E : Là, pourquoi tu as choisi dormais et téléphoné, tu peux\

3 K : C’est le même cas dont j’ai parlé tout à l’heure. <XX (E : <que tout à l’heure hm) Oui. J’étais en train de dormir [ja-ko it-ôt-nûnte] et tout d’un coup, le téléphone a sonné [bel-i ulli-ôt-ta]. Hm Dimanche dernier

4 E : Attends. Dans ce cas, quand mon fils ME téléphonait, on peut pas mettre à l’imparfait ? Il n’y a que cette possibilité ?

5 K : + Quand mon fils me téléphonait, (E : hm) si on dit ça, + quand mon fils me téléphonait d’Australie hier soir hm… + Je pense qu’il faut une action, dans ce cas là. Par exemple (E : hm) euh… + euh interphone a sonné (E : hm) quelque chose comme ça. C’est-à-dire + C’est un état où je faisais quelque chose et je/ un état où je parlais avec mon fils au téléphone/ je te disais que l’imparfait, c’est un état. (E : hm) Donc ce/ si je veux exprimer cet état où je parlais avec mon fils, si on veut utiliser l’imparfait, (E : hm) même avec cette phrase seule, ça irait. Sans la phrase je dormais, si on veut laisser mon fils me téléphonait d’Australie hier soir, comme ça, (E : hm) c’est aussi possible. C’est possible, mais pour que ça soit possible, il faut qu’il y ait une autre phrase après, (E : hm) qui pourrait aider cette situation euh… comment dirais-je, le fait qu’on a utilisé cet imparfait. Même si on inverse l’ordre, Mon fils + me téléphonait l’interphone a sonné (E : hm) + mon fils me téléphonait d’Australie hier soir, comme ça.

 

Kang saisit toujours l’aspect imperfectif pour dormir (3). La demande d’acceptabilité de l’imparfait pour téléphoner (4) met au jour le schéma de Kang, déjà observé chez Lee, de recourir successivement à deux temps différents pour que l’un forme l’arrière-plan et l’autre, l’avant-plan (5). L’exemple examiné relève exactement de ce schéma. Le rapport des deux intervalles est considéré du point de vue discursif, et l’antériorité du début de dormir, non explicitée mais bien comprise, semble facilitée à la fois par le type de procès du verbe et son rôle d’arrière-plan.

2.1.2. Arriver à Rennes et pleuvoir

Il s’agit d’un autre couple de verbes qui facilitent le choix des temps : le verbe borné, arriver à Rennes, joue le rôle de procès inclus, le verbe d’activité, pleuvoir, celui du procès incluant.

2.1.2.1. Lee

Lee choisit les temps appropriés mais avec une petite hésitation :

 

(Extrait 151) 4-3, 4 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait (…) (Lee I, fr.)

1 L : Quand il arrivait... quand il arrivait à Rennes, il a\ (E : arrivait ? ici ?) XXX (rire) Quand il arrivait à Rennes il... pleuvait +++ Quand ils sont arrivés à Rennes, (E : hm) il pleuvait (E : hm) (...)

2 E : Donc bon, la première réponse que tu me donnes, c’est d’abord parce que c’est un état, c’est ça ? Pleuvoir le fait de pleuvoir + et... c’est-à-dire ce que je veux savoir, ils sont arrivés (L : hm) et... et il pleuvait déjà ? Ou euh... il.. il commence à pleuvoir un peu après ou pendant qu’ils étaient à Rennes ? ou +

3 L : C’est depuis quelque temps hm il pleuvait. (E : hm) ++ Quand il est arrivé (E : hm-hm) quand ils sont arrivés. (E : hm-hm)

4 E : C’est-à-dire que c’était ça a commencé avant ?

5 L : ++ <Je ne sais pas il n’y a pas de... XX (E : <avant leur arrivée à à Rennes, c’est ça ?) Hm... +++ Il me semble comme ça. (E : hm) +

6 E : Donc là, qu’est-ce que tu décides ? Tu décides pour (L : il pleuvait) Ah il pleuvait hein ?

7 L : Hm

8 E : Il pleuvait pendant tout leur voyage parce que <c’est\

9 L : <Par rapport à cette action, (E : hm) c’est... ici, je pense qu’imparfait est plus juste + par rapport cette action.

10 E : C’est-à-dire l’action d’arriver, c’est ça ?

11 L : Hm oui

12 E : L’action d’arriver + c’est-à-dire ici, ça dure longtemps ?

13 L : ++ (E : il a plu <XX il pleuvait) <Ça dure longtemps hm... + Ce qui est important, c’est pas... le longueur. (E : hm) Je crois c’est... c’est une durée + (E : hm) pendant quelqu/ certain temps (E : hm) ça ? (E : hm-hm) et... j’ai choisi (E : hm) l’imparfait. (E : hm-hm)

 

A la lecture à haute voix, Lee choisit d’abord l’imparfait pour arriver à Rennes et change d’avis pour le passé composé (1). Cette petite hésitation ne nous semble pas sans rapport avec celle qu’elle éprouvera plus loin dans le même entretien pour le verbe arriver dans 6-19 Quand la police est arrivée, c’est lui qu’elle a emmené au commissariat. Pour ce verbe, elle choisira d’abord l’imparfait et évoquera la structure syntaxique avec laquelle elle a appris le passé composé et l’imparfait (« Mais... + comme j’ai travaillé euh... ++ le passé composé et l’imparfait avec ce formule de la phrase, je/ quand je vois quand comme ça, hm... ++ »). Lors de la séquence consacrée au verbe, l’enquêtrice interroge expressément Lee sur l’ordre des débuts des procès (2). Lee suppose bien que le début du procès pleuvoir précède celui d’arriver (3). Mais à la demande de confirmation de l’enquêtrice (4), elle semble moins sûre, en parlant de l’absence d’indicateur dans la phrase, et présente l’antériorité du début de pleuvoir comme un effet ressenti (« il me semble comme ça ») (5). Ce commentaire montre que Lee ne saisit pas encore le fait que l’imparfait, face au passé composé, marque lui-même l’antériorité de son début, du fait de l’inclusion du procès au passé composé.

L’enquêtrice passe au verbe suivant, au second pleuvoir (6, 8) mais, Lee, croyant que la discussion porte toujours sur le même pleuvoir, justifie son choix de l’imparfait, en s’appuyant sur l’opposition état/action que nous avons vue dans le même entretien pour les verbes dormir et téléphoner (9). L’enquêtrice demande confirmation pour savoir si le procès d’action est arriver et oriente la discussion sur la notion de durée pour pleuvoir (12). Lee répond en terme de durée absolue (13). Comme pour dormir et téléphoner, Lee a recours à d’autres notions que le rapport de chevauchement d’inclusion qui lui indique l’ordre des débuts des procès. Lors du second entretien, les mêmes choix appropriés sont effectués, mais sur d’autres critères :

 

(Extrait 152) 4-3, 4 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait (Lee II, cor.)

1 L : Hm… ensuite quand on a une subordonnée avec quand, et la principale (E : hm) hm… quand on est arrivé à un endroit, à Rennes (E : hm), à leur arrivée, on décrit la situation (E : hm) il pleuvait et il pleuvait pendant tout leur voyage, je pense qu’on mettrait l’imparfait

2 E : Donc ces deux il pleuvait, c’est le même cas. Ce sont tous deux une description ?

3 L : Ah… peut-être ça ne l’est pas ++ (...) Ensuite, comme on le voit souvent, (E : hm) quand ils (E : hm) sont arrivés à Rennes. (E : hm) Ensuite c’est une explication de la situation (E : hm) il pleuvait, et il pleuvait pendant tout leur voyage (E : hm)

 

La première explication que donne Lee est la structure de la phrase (« quand on a une subordonnée avec quand, et la principale »), explication qu’elle ne termine pas (1). Elle reprend sa justification mais en se référant à une autre notion, discursive, pour les deux pleuvoir (1). L’enquêtrice demande confirmation du fait que cette analyse s’applique aux deux verbes (2) et Lee nuance sa réponse sans développer davantage. Plus loin dans la discussion, Lee reprend son explication et elle aborde cette fois-ci le passé composé pour arriver : elle s’appuie pour celui-ci sur l’input (« comme on le voit souvent ») et pour pleuvoir, toujours sur le rôle discursif (« explication de la situation »). Chaque procès est envisagé séparément et la mise en rapport des deux procès ne s’observe pas et encore moins en terme d’inclusion.

2.1.2.2. Kim

A la différence de Lee, Kim aborde la relation d’inclusion :

 

(Extrait 18) 4-4 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait (Kim I, fr.)

1 E : (...) Mais quand ils sont arrivés à <Rennes (K : <Rennes) ils + <toi (K : <ils\) tu as mis à l’imparfait c’est ça ?

2 K : Oui impar<fait

3 E : <Après tu as tu as barré ? ou.. ++ il pleuvait

4 K : Non + au début j’ai/ oui (E : hm) c’est.. (E : hm) c’est <XXX

5 E : <Il est il pleuvait ça veut dire quoi il pleuvait

6 K : *il était en train de pleuvoir [-ko it-ôt]* la durée (E : hm-hm) oui

7 E : C’est seulement la durée ?

8 K : ++ Oui la durée (E : hm) avant et maintenant (E : hm) aussi (E : hm-hm d’accord)

 

L’enquêtrice demande confirmation sur le choix de l’imparfait pour pleuvoir (1-2) et interroge sur le second pleuvoir (et il a plu pendant tout leur voyage) pour lequel Kim avait choisi l’imparfait, lors du passage du test (3-4). L’enquêtrice revient ensuite au premier pleuvoir et demande ce qui fonde ce choix (5). Kim passe au coréen pour reformuler la phrase en ayant recours au marqueur de l’aspect imperfectif, -ko it, et l’appelle la « durée » (6). L’enquêtrice demande si c’est la seule notion sous-jacente (7). Kim confirme l’idée de durée et saisit la partie antérieure et celle en chevauchement de l’intervalle occupé par le procès pleuvoir, ce qui indique qu’elle le conçoit comme intervalle incluant celui du moment repère, arriver à Rennes (8). Il est à noter que cette mention de la relation d’inclusion est présentée comme reformulation de la notion de durée. Lors du second entretien, l’inclusion n’est pas exprimée aussi explicitement :

 

(Extrait 91) 4-3, 4 Quand ils sont arrivés à Rennes, il a plu (Kim II, cor.)

K : Quand ils sont arrivés à Rennes, le fait qu’ils sont arrivés, c’est sûr que, ça aussi c’est le passé composé parce que +++ Quand ils sont arrivés, il a plu [pi-ka o-ôt-ta] n’est-ce pas, il était en train de pleuvoir [pi-ka o-ko it-ôt] n’est-ce pas. (E : hm…) Donc, + arriv/ arriver ils sont déjà arrivés là-bas [imi kôki-e totchakha-ôt-ôyo]. (rire) Hm ils sont déjà arrivés complètement [imi hwaksilhake wanjônhi totchakha-ôt-ko] et juste au moment de leur arrivée, + la situation est qu’il pleuvait [pi-ka o-ko it-ôt-tô-n sangthe].

 

Pour le procès d’arriver, Kim s’appuie sur le fait qu’il est accompli (« ils sont déjà arrivés là-bas », « ils sont déjà arrivés complètement »). La mise en relation des deux procès s’observe dans la saisie du procès pleuvoir en déroulement (non-inclusion des bornes) au moment repère.

2.1.2.3. Kang

Nous rappelons que nous ne disposons pas de commentaires de Kang du premier entretien sur ces verbes. Mais on observe, lors du second, sa référence au rapport d’inclusion :

 

(Extrait 28) 4-4 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait (Kang II, cor.)

1 E : Celui d’avant, on ne peut pas dire quand ils sont arrivés il a plu ? (rire) + Est-il possible ou non d’avoir deux passé composé en même temps ?

2 K : Ah c’est possible. (E : hm) C’est possible ? (E : hm) Mais dire quand ils sont arrivés, c’est un peu/ ça me semble difficile parce que (E : hm) ils sont descendus du train, juste à ce moment là (E : Hm. Il a plu comme ça ?) juste à ce moment de descente (E : hm) comment dire, le bon Dieu a mis des nuages noirs juste à cet endroit là (E : hm) il a plu tout d’un coup. (rire) Ce\

3 E : <Hm il a plu une seconde et ça a cessé ?

4 K : Je pense que ce serait comme ça. (E : hm…) La pluie, la pluie qui était tombée dans la région de Rennes, (E : hm) a pu déjà tomber avant que le train n’arrive, (E : hm) ou elle a pu continuer à tomber durant tout le trajet entre le train et l’hôtel. ++

5 E : Donc c’est possible quand même mais + il y a ces différences ?

6 K : Oui

7 E : O.K.

 

L’enquêtrice demande de considérer le passé composé pour pleuvoir (1) et Kang le trouve acceptable mais improbable, car son emploi signifierait une contemporanéité entre arriver et pleuvoir de façon absolument simultanée (2). Et elle donne sa conception de la situation dans laquelle elle mentionne le fait que le procès pleuvoir avait commencé avant (partie antérieure au moment repère) et avait continué après (partie postérieure) (4).

Ces deux exemples (dormir/téléphoner, arriver/pleuvoir) qui dans une phrase complexe mettent en relation deux procès de nature différente, l’un, procès d’activité, et l’autre, procès borné ou transitionnel, offrent un contexte facilitateur pour le rapport d’inclusion entre les procès. Cette relation est incluse dans la compréhension même de la situation. Mais nous avons observé néanmoins qu’il arrive à Kang et à Kim de l’expliciter spontanément, notamment l’antériorité du procès incluant.

2.2. Ouvrir la porte et sourire

Nous observerons maintenant chez nos apprenantes la saisie du rapport d’inclusion de deux procès, présentés dans une structure un peu différente. Les types de procès mis en relation sont comme dans les deux exemples précédents : verbe borné (ouvrir) et verbe d’activité (sourire).

2.2.1. Lee

Lee semble saisir dès le premier entretien la relation d’inclusion entre les procès ouvrir et sourire mais elle éprouve des difficultés de choix :

 

(Extrait 72a) 3-2 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri/souriait et lui a dit : je t’attendais (Lee I, fr.)

1  E : Donc phrase trois, quand + il... hm hm la porte et elle lui + hm

2  L : + Hm... +++++++++ hm + quand il a ouvert la porte (E : hm) elle lui souriait + elle lui a /surie/ et elle lui a dire elle lui a dit je t’attendais euh ici je sais pas <très bien.

3  E : <Hm hm donc là quand il a ouvert ++ elle lui + a souri ? C’est-à-dire, est-ce que tu le... conçois comme une action ? ou lui sou<riait

4  L : <Souriait je sais pas tous les deux possible n’est-ce pas ? (rire)

5  E : (...) Quand il a ouvert la porte elle lui + Euh maintenant est-ce que tu crois qu’il y a + une différence de sens ? Elle lui a souri et elle lui souriait + est-ce qu’il y a

6  L : Hm quelque quelque nuance. (E : ouais) ++ Euh.. + si elle... lui a souri.. (E : hm) souri, (E : hm) c’est à cause de c’est... parce qu’elle a qu’elle l’a vu en ce moment à ce moment là (E : hm-hm) et cette situation lui plaît. (E : hm-hm) Mais elle souriait, c’est un état. (E : hm-hm) Elle a l’air toujours... très... + douce ++

7  E : Elle souriait c’est-à-dire, c’est plutôt son caractère (L : hm) hm ++

8  L : Pas tout à fait mais ++ c’est elle lui a /surie/ (E : hm) ah/ elle lui a souri (E : hm) + c’est... c’est plutôt euh + hm + une actio/ une action ponctuelle (E : hm) à cause de quelque cause.

9  E : C’est parce que elle a vu le... (L : hm) ce monsieur, (L : hm) c’est pour ça ? Sinon si elle souriait c’est pas vraiment à cause de lui mais... (L : hm + oui oui) Hm c’était pas <forcément (L : <moitié moitié) XX et lui a dit

10 L : Sinon elle souriait euh... en... s’atten.... en s’atten-dant + à le voir.

11 E : Ah d’accord c’est-à-dire, elle savait qu’il allait arriver (L : hm) Donc il a + hm mais... ce que je veux savoir, c’est l’action de sourire euh... + a commencé est-ce que dans les deux cas, est-ce qu’elle... elle commence à sourire quand elle le voit ? ou... + c’est juste après qu’il soit rentré qu’elle qu’elle sourit ? ou...

12 L : Hm passé composé, c’est.. jus/ c’est juste une action (E : hm) succédant, (E : hm-hm) je crois. (E : hm-hm) +

13 E : Et <elle souriait ?

14 L : <C’est ça... hm.. + je.. je vous ai dit qu’il y a quelque + problème qui me gêne entre imparfait et passé composé. (E : hm-hm) C’est c’est le problème comme ça. (E : ah...<donc) <De temps en temps je con/ suis confuse (E : hm-hm) dans les.. situations (E : hm-hm) et... comme ça. Autrement c’est plutôt claire pour moi. (E : hm) Mais... ici euh + et de temps en/ et parfois/ hm.. + si je demande à au au professeur ou le/ l’autre français, (E : hm) on répond on me répond différemment.

15 E : Hm c’est-à-dire ils utilisent XXX Est-ce qu’ils disent action <et état

16 L : <Il y a quelqu’un... qui... me donne (E : hm) imparfait (E : hm) et.. hm... en revanche il y a aussi quelqu’un qui... pense... à passé composé. (E : ah oui ?) ++ Hm... j’étais à Vichy (E : hm) j’étais... j’avais étudié ++ j’avais étudié un texte sous deux professeurs. (E : hm-hm) C’était hm... hm coïncidence (E : hm-hm) mais euh... le professeur/ une professe/ un professeur procéda/ précédent (E : hm-hm) hm... nous a... enseigné hm comme imparfait. (E : hm-hm) Mais l’autre professeur nous a donné (rire) le réponse ah/ euh passé composé <pour le XXX réponse

17 E : <Ah bon ? (rire)

18 L : Oui ah c’est comme ça. (rire) ++

 

Lee, dans le premier entretien, lors de la lecture à haute voix, semble hésiter entre les deux temps verbaux et sur le moment, choisit le passé composé (2). L’enquêtrice pense que c’est son choix et demande confirmation tout en anticipant son analyse pour le passé composé en terme d’action (3). Lee accepte en fait les deux formes (4) (« tous les deux possibles n’est-ce pas ? ») disant, à la demande de l’enquêtrice (5), qu’elles ont une différence de nuance (6). L’emploi de l’imparfait, qui entraîne la relation d’inclusion, est dû au fait qu’il s’agit d’un « état » (6). Ce terme ne caractérise que le procès sourire et ne le met pas en relation avec celui d’ouvrir la porte. Quant à l’emploi du passé composé, a souri, il se base sur une analyse macro-discursive, l’idée d’une réaction à une cause (6) et sur la notion implicite du bornage de l’intervalle (8) (« c’est plutôt une action ponctuelle à cause de quelque cause »). L’enquêtrice interroge sur l’imparfait en reprenant l’explication pour le passé composé (9), et Lee donne un contexte où on peut employer l’imparfait qui correspond à la saisie de la portion antérieure du procès sourire (« elle souriait en s’attendant à le voir ») (10). L’enquêtrice saisit cette occasion pour l’interroger sur le début de sourire (11). Dans le cas du passé composé, Lee synthétise ses idées déjà présentées, en termes macro-discursifs plus explicites : la successivité (« c’est juste une action succédant, je crois ») (12). Mais pour l’imparfait, contrairement à l’inclusion envisagée plus tôt, elle témoigne de ses difficultés, et des cas confus (14). De ces difficultés de choix provient sans doute sa double acceptation, difficulté renforcée par le jugement d’enseignants natifs donnant comme correctes l’une ou l’autre forme (16-18).

Ses analyses pour l’emploi du passé composé sont plus spontanées et appropriées que celles pour l’imparfait. La relation d’inclusion envisagée ne l’aide pas pour autant à choisir le temps verbal. Nous avançons l’hypothèse que sa difficulté de choix repose sur la probabilité égale des deux situations (passé composé et succession de procès, imparfait et chevauchement). Lors du second entretien, elle propose toujours le double choix :

 

(Extrait 27a) 3-2 Quand il a ouvert la porte, elle lui souriait et lui a dit : je t’attendais (Lee II, cor.)

1  L : Hm ensuite ++ hm... ++++ hm +++ ça, on pourrait dire les deux. (rire) (E : hm) Dans chaque parenthèse < XX

2  E : <Dans chaque parenthèse ? Donc on peut dire quand il a ouvert, et quand il ++ à l’imparfait ?

3  L : Hm. Mais c’est un peu + la relation + même si la relation change. (E : hm) C’est-à-dire que, quand il a ouvert la porte (E : hm) elle souriait (E : hm + imparfait) Hm et (E : et) lui a dit (E : hm) je t’attendais

4  E : Bon alors, quand il a ouvert et elle lui a/ elle lui souriait, quel est le sens ?

5  L : Hm... + quand il a ouvert la porte brusquement, (E : hm) cette femme ah/ cette femme s’attendait à le voir, et continuellement [i saram-i o-l kô-rûl kiteha-myônsô kesok] hm... comme ça un peu + dans une situation + d’attente ou de connaissance [yakkan kite animyôn a-nû-n sangthe-esô] (E : hm) + elle maintenait la situation [kû sanghwang-ûl yuji-siki-ô-o-at-tô-n kô]. ++

6  E : Quelle situation ?

7  L : Hm elle était en train de sourire [miso-rûl jit-ko it-ôt-ta] (E : hm) parce qu’elle s’y attendait [yekyôn-ûl ha-ko it-ôt-ki ttemune] (E : hm) Hm <et en même temps

8  E : <Donc elle savait déjà qu’il viendrait et (L : Hm) elle était en train de sourire, c’est ça ? ++ <Alors quand\

9  L : <C’est peut-être différent à cause du verbe sourire ? +++

10 E : Donc si on le met à l’imparfait souriait (L : hm), c’est qu’elle est en état de sourire quand on a ouvert la porte

11 L : C’est-à-dire euh on ouvre la porte/ oui avant qu’on ouvre la porte, le bruit de quelqu’un qui court/ non <quelqu’un arrive en courant ou euh c’est-à-dire (E : <à partir de ce moment hm) Donc quand elle a dit quelque chose, elle a dit je t’attendais [kitari-ko it-ôt-ô] (E : hm hm).

 

Lee propose le double choix non seulement pour le procès sourire mais pour tous les verbes entre parenthèses (1). Néanmoins elle effectue le choix et elle choisit l’imparfait pour sourire (3). A l’interrogation de l’enquêtrice (4), Lee explique la situation et comme lors du premier entretien, elle saisit la partie antérieure à celle chevauchée (« cette femme s’attendait à le voir », « dans une situation d’attente ou de connaissance elle maintenait la situation ») (5) de l’intervalle de sourire. Ceci se confirme par son intervention suivante où elle saisit, cette fois-ci, la portion qui chevauche le moment repère : l’aspect imperfectif (« elle était en train de sourire [-ko it-ôt] ») (7). L’enquêtrice le reformule et Lee l’approuve (8). Celle-ci se demande discrètement si le type de procès du verbe est à l’origine de cette vision et du choix du temps (9). L’enquêtrice demande confirmation sur l’antériorité du procès sourire (10) et les commentaires malheureusement incomplets de Lee semblent le confirmer.

On observe qu’avec le choix de l’imparfait, Lee met en relation les deux procès en terme d’inclusion, ce qui lui a permis d’affirmer l’antériorité du début de sourire. L’analyse et le choix de temps verbal s’accordent mais cette analyse de la situation n’est pas prototypique, ce qui entraîne un choix erroné.

2.2.2. Kim

A la différence de Lee, on observe chez Kim un décalage entre l’analyse et le choix de temps verbal sur les deux entretiens :

 

(Extrait 87) 3-1, 2 Quand il a ouvert la porte, elle lui souriait et lui a dit : je t’attendais (Kim I, fr.)

1 K : Oui troisième (E : hm) quand il a ouvert la porte elle lui a souri elle lui a dit je t’attenda/ je t’attendais (E : hm) hm

2 E : Alors là <effectivement il y a..

3 K : <Quand il a ouvert la porte <il lui a souri (E : <quand il a ouvert la porte il a\) oui c’est un/ + (E : elle lui a souri) au début j’ai écrit souriait

4 E : Oui ++ pourquoi ?

5 K : Hm... (rire) +++ le sourire c’est.... + c’est une action <euh

6 E : <Qui dure ?

7 K : Du../ oui qui dure n’est-ce pas ? (E : hm) ++ oui c’est pour ça j’ai écrit ça mais... je me rap<pelle que (E : <XXX) le prof (E : hm) nous a dit (E : hm) + euh ++ si euh le temps est imparfait (E : hm-hm) elle (E : hm) elle toujours /surira/ avant + qu’il a.. ouvert (rire) la <porte (E : <hm hm hm hm hm) elle aussi (E : hm) ++ elle <elle\

8 E : <C’est-à-dire elle/ elle.. + elle /et/ / elle était en train de sourire déjà avant <qu’il ouvre la porte (K : <oui oui oui (rire) seul/) (rire) et seulement il a ouvert au milieu (K : oui) elle a continué à.. <(rire) (K : <(rire) oui) oui oui

9 K : Oui le prof (rire) <a dit ça (E : <a dit ça ?) oui oui

10 E : Hm qu’est-ce que tu penses ? est-ce/ quand tu as quand tu as marqué ça (K : hm-hm) à l’imparfait (K : <imparfait) <elle lui a elle lui souriait + dans ton esprit à quoi tu as pensé ? c’est-à-dire quand il a ouvert (K : oui) c’est à ce moment là qu’elle a + sourit ? ou

11 K : Qu’elle a commencé <de la sourire (E : <XXX ah.. hm-hm) sourire ça le euh le sourire + a un peu duré (E : ah) oui (E : hm-hm) je com/

12 E : Hm-hm donc.. c’est ça que tu as pensé ?

13 K : Oui (E : hm-hm) +++

 

Kim qui connaît les bonnes réponses donne d’abord les choix appropriés (1) et témoigne que, lors du passage du test, elle avait choisi l’imparfait pour sourire (3), en se basant sur la temporalité interne du verbe (5-7). Elle ajoute l’explication de son professeur de français qui mentionnait l’antériorité du début du procès sourire lors qu’on emploie l’imparfait (7). L’enquêtrice interroge sur le moment du début de sourire lorsque Kim avait choisit l’imparfait (10). Kim répond que le procès est postérieur au moment repère, ouvrir la porte : l’emploi de l’imparfait prend en charge seulement la durée de l’intervalle (11). Ceci montre bien que Kim ne savait pas que, lié au procès au passé composé, l’emploi de l’imparfait pour un autre procès entraîne le chevauchement partiel d’inclusion et du même coup, l’antériorité du début du procès incluant. Lors du second entretien, Kim ne change ni d’analyse ni de choix :

 

(Extrait 31a) 3-2 Quand il a ouvert la porte, elle lui souriait et lui a dit : je t’attendais (Kim II, cor.)

1 K : Quand il + il a ouvert la porte (E : hm) elle lui (E : hm) elle lui souri souriait elle lui elle lui a dit je t’a je t’attendais je t’attendais (E : hm alors) ++ Alors oui

2 E : Quand il a ouvert la porte

3 K : Là, il a ouvert la porte d’un coup sec n’est-ce pas. (E : hm hm) Donc c’est le passé composé qui est mieux. (E : hm) Ensuite après, elle (E : hm) lui ah… elle lui a souri elle lui a souri et + lui a dit je t’attendais [-ko it] +

4 E : Ce qui correspond à elle lui a souri, c’est elle lui souriait à l’imparfait ?

5 K : + Hm là en parlant, j’ai une autre idée qui me vient qui se superpose. (rire)

6 E : Hm hm dis-moi ces idées qui se <superposent.

7 K : <Donc souriait. (E : hm) ++ Oui d’abord pour moi, le verbe sourire ne finit pas en une seconde mais qui dure un peu. (E : hm) Je n’ai pas l’impression qu’elle ait ri juste une seconde et refermé sa bouche tout de suite après. (E : hm) Je pense qu’elle souriait [-ko it-ôt] un moment la bouche ouverte, donc l’imparfait. Et ensuite, elle lui a dit et ce qu’elle lui a dit, c’est (E : hm) + je t’attendais. Elle a dit ça, je t’attendais [kitari-ko it-ôt-ta] tout en continuant à sourire

8 E : (...) Alors cette femme, (K : ici) quand est-ce qu’elle a commencé à sourire ?

9 K : Eh bien, dès qu’il a ouvert la porte [mun-ûl yôl-jamaja].

10 E : Ah <dès qu’il a ouvert [yôl-jamaja] (K : <dès qu’elle l’a vu [ôlkul-ûl po-jamaja]) hm elle a souri

11 K : + Dès qu’il a ouvert [yôl-jamaja]. (E : hm) ++

 

Kim choisit toujours l’imparfait pour sourire (1), en se basant sur la temporalité du verbe (« le verbe sourire ne finit pas en une seconde mais qui dure un peu ») (7) et, par glissement de niveau, sur l’extension de l’intervalle, entraînant le chevauchement total avec le procès suivant, dire (« Elle a dit ça, je t’attendais [kitari-ko it-ôt-ta] tout en continuant à sourire »). Comme lors du premier entretien, tout en choisissant l’imparfait avec l’idée de durée, Kim affirme que conformément aux connaissances du monde, le procès de sourire commence après l’ouverture de la porte (9) : Kim n’a toujours pas acquis le fait que le choix de l’imparfait impose un ordre dans les débuts des procès.

2.2.3. Kang

Nous avons vu que pour les exemples dormir/téléphoner, arriver à Rennes/pleuvoir, Kang mentionnait, la partie antérieure seule ou les parties antérieure et postérieure, ce qui montrait qu’elle saisissait l’un des procès dans son rapport d’inclusion avec l’autre procès. Mais pour ouvrir et sourire, on constate une différence de traitement :

 

(Extrait 30a) 3-1, 2 Quand il a ouvert la porte, elle lui souriait et lui a dit : je t’attendais (Kang I, fr.)

1 K : Quand il a ouvert la porte <elle lui.. (E : <elle lui) souriait (E : elle lui souriait + et <lui ?) <et lui disait (E : hm-hm) je/ je t’attends (E : je t’attends ?) hm-hm

2 E : Hm-hm bon maintenant quand il a ouvert la porte elle lui souriait tu as mis à l’imparfait (K : hm) hm-hm c’est-à-dire que c’est un peu le contraire.. de là hein (K : hm-hm) c’est il y a quelque chose qui se passe et quand + quelque chose qui se passe (K : hm-hm) donc tu as dit que c’était deux choses se passent en même temps ici + n’est-ce pas ? (K : hm-hm) donc le fils a téléphoné et il dormait deux choses en même temps (K : hm) alors donc est-ce que c’est pareil ici ? <c’est-à-dire (K : <ah) il il ouvre la porte (K : hm) mais quand il ouvre la porte en même temps elle.. sourit c’est ça ? (K : hm-hm) + c’est-à-dire euh.. là je dormais ici c’est-à-dire que tu as dit que c’était antérieur + par rapport au.. téléphone au coup de téléphone +

3 K : Pas pas exactement mais

4 E : Pas exactement ?

5 K : Peut-être il il a commencé à dormir (E : peut-être..) oui

6 E : C’est-à-dire juste avant il a commencé à dormir

7 K : Non <on sait pas XX (E : <c’est-à-dire il est déjà couché ?) oui il est déjà couché c’est sûre (E : hm-hm)

8 E : Mais.. est-ce que là dans numéro trois est-ce que elle souriait AVANT que cette personne ouvre la porte ? ou <juste au moment (K : <non en même temps) au moment

9 K : Ah.. au moment + hm (E : +++)

10 E : <Juste au moment hein ? juste au moment (K : <et après et après elle disait) attention parce que moi je + je voudrais comparer ça le numéro un et trois donc là elle sourit en même temps au moment où <il ouvre mais là

11 K : <Oui c’est deux/ deux actions se passent <en même temps (E : <en même temps) <vraiment en même temps mais

12 E : <Alors XX hm dans le numéro un <il dort c’est-à-dire

13 K : <Ça aussi ça se passe en même temps mais (K : hm mais) le locuteur il est déjà (E : il dort déjà ?) oui il dort déjà

14 E : Hm donc c’est quand même antérieur <celui là ?

15 K : <Oui

 

Pour sourire, Kang choisit l’imparfait (1). L’enquêtrice compare ce cas avec celui de dormir et téléphoner pour lesquels Kang avait choisi l’imparfait et le passé composé. Elle oriente la discussion sur l’ordre temporel des deux procès et demande confirmation sur l’antériorité du procès à l’imparfait, proposée par Kang au sujet de la paire téléphoner/dormir (2). Kang nuance son idée d’antériorité (3) en raccourcissant la distance entre le début de dormir et celui de téléphoner (5). A la reformulation de l’enquêtrice, Kang se rétracte encore en disant qu’on ne le sait pas (7). L’enquêtrice réoriente la discussion sur les procès ouvrir et sourire et interroge explicitement sur l’ordre de leur début (8). Kang exprime la contemporanéité (8, 9) et suite à l’intervention de l’enquêtrice (10), elle précise davantage : une contemporanéité effective sur la même durée, c’est-à-dire, le chevauchement total (11). A la demande de l’enquêtrice de considération de la relation entre dormir et téléphoner, Kang revient à son idée antérieure. Tout en admettant la même contemporanéité (« ça aussi ça se passe en même temps ») correspondant à la partie chevauchée de l’intervalle, elle affirme l’antériorité du début du procès dormir (13), en distinguant ainsi le rapport entre dormir et téléphoner de celui entre ouvrir et sourire. Alors que par les choix mêmes de temps verbaux, le rapport entre ouvrir et sourire serait le même que celui entre dormir et téléphoner, Kang saisit, pour les procès mis à l’imparfait, l’antériorité pour un cas et la contemporanéité pour l’autre. On notera que, dans le même entretien pour 6-2 pleuvoir, dans Hier, un accident s’est produit au carrefour (...) Il pleuvait, à l’interrogation précise de l’enquêtrice, Kang saisit pourtant les portions antérieure et postérieure de l’intervalle incluant : « avant cet accident il pleuvait et après cet accident il pleuvait aussi ».

Lors du second entretien, Kang change de choix :

 

(Extrait 116) 3-1 Quand il ouvrait la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Kang II, cor.)

1  K : Si on le fait au présent, ce serait facile. Quand il ouvre la porte, elle… lui sourit (rire) Mais (E : hm) + quand il… quand quand il /uvr/ la porte elle lui a souri. (E : hm) + (E : et) ++ Hm ++ elle elle lui a dit euh je je je t’attendais (E : hm) ++

2  E : Bon là, si on regarde quand il ouvrait la porte, tout à l’heure, tu as dit que l’imparfait marque + un état (K : hm) ou, et là qu’est-ce que c’est ? cet imparfait ?

3  K : Ici, l’imparfait (E : hm) + quand il (bas) +++ Ça aussi ça explique une situation [sanghwang sôlmyong], une situation [santhe] quelconque. (E : hm) +

4  E : Quoi ? La situation d’ouvrir la porte ?

5  K : Oui. (E : hm…) Comment dire, + c’est un peu trop court (E : hm) mais quand même ça explique la situation [sanghwang-ûl sôlmyong], ensuite (E : hm) elle (E : hm) lui a souri et puis elle a dit. (E : hm)

6  E : (...) Quand il ouvrait, ça établit une situation [sanghwang-ûl sôljong] ou un état [ôttôn santhe] ?

7  K : Oui oui

8  E : Mais au début, tu as dit que le passé composé, ça concerne en général les actions/ Mais ouvrir, ce n’est pas une <action [tongjak] ?

9  K : <C’est… une action mais un temps/ c’est-à-dire ça peut être une différence de notion de temps relative [sangtejôk-i-n ôttôn sikan kenyôm-ûi tchaï]. (E : hm) + Je te l’avais dit tout à l’heure. (E : hm) Elle sourit, elle/ ah dit quelque chose (E : hm) tout ça euh… +++

10 K : (...) Ou peut-être que l’inverse est possible. Quand <il… (E : <comment ?) quand il a ouvert la porte quand il a ouvert la porte elle lui souriait (E : hm) elle lui a dit (E : hm…) +

11 E : Dans ce cas là, il y a aussi un ordre ou pas ? Comment ça se passe ?

12 K : Je pense que, la plupart des cas, c’est une différence de point de vue. (E : Hm…) Quand je t’avais dit ça au début, (E : hm) j’avais pris comme actant, (E : hm) comment dire, comme point de vue, (E : hm) celui de la femme qui est dans la chambre. (E : + hm) C’est la femme que j’avais pris comme repère. (E : hm hm) Parce que c’est la femme qui voit la porte s’ouvrir. (E : hm) La situation est celle où la porte s’ouvre. (E : hm) Mais si on prend comme point de vue celui de l’homme qui est dehors, le fait qu’il a ouvert la porte est une simple action, (E : hm) et elle a réagi, et c’est elle lui souriait.

13 E : Alors l’imparfait/ quel est le sens de cet imparfait ? C’est-à-dire c’est une situation du moment où il a fait une action ?

14 K : Oui c’est ça. L’action XXX il a ouvert la porte (E : hm) elle lui sourit (E : hm) + elle lui a souri, c’est-à-dire, quand on dit elle elle lui souriait, cette phrase décrit la situation où elle souriait [miso-rûl jit-ko it-ôt-ta-nû-n sangwhang-ûl myosaha-n-kô-ko]. (E : hm) Et elle lui a dit, c’est, parce qu’on a dit quelque chose, parce que c’est une action, (E : hm) + le passé composé XX

 

Lors du second entretien, Kang éprouve des difficultés pour cette phrase mais elle choisit néanmoins un temps pour ouvrir, prononcé comme le présent, et le passé composé pour sourire (1). L’enquêtrice comprend le choix de Kang pour ouvrir comme l’imparfait et interroge sur sa signification (2). Kang fait référence au rôle discursif, « explication de la situation » (3, 5), et plus tard, à la notion de « temps relatif » (9), à la suite du rappel par l’enquêtrice de la relation entre le passé composé et l’action, proposée par Kang auparavant (8). Plus loin, Kang propose comme acceptable la distribution inverse, le passé composé pour ouvrir et l’imparfait pour sourire (10). L’enquêtrice l’interroge sur l’ordre des procès (11) et en guise de réponse, Kang parle du choix de la personne prise comme repère à l’origine du choix de l’imparfait : l’action observée par le personnage repère prend l’imparfait et celle effectuée par ce personnage prend le passé composé en tant qu’« une simple action » (12). L’enquêtrice demande si le nouvel imparfait marque aussi la « situation » (13). Kang l’approuve et reprend sa référence aux rôles discursifs, d’arrière-plan pour l’imparfait (« cette phrase décrit la situation où elle souriait ») et d’avant-plan pour le passé composé (« c’est une action ») (14). Si cette référence discursive oppose deux rôles et les met en relation, il n’en est pas moins vrai que Kang les aborde séparément : la relation de chevauchement partiel d’inclusion, et l’antériorité du début du procès incluant ne sont pas verbalisées. On décèle au contraire la successivité dans le passage suivant où elle parle de la relation action-réaction : « le fait qu’il a ouvert la porte est une simple action, et elle a réagi, et c’est elle lui souriait ».

Ce traitement contraste avec celui du procès 5-1 avoir vingt ans dans Paul avait vingt ans quand il a eu son accident de montagne dans le même second entretien, pour lequel, à la demande d’acceptabilité du passé composé, Kang saisit les portions antérieure et postérieure de l’intervalle incluant, qui aboutit à une détermination des débuts des procès : « Avant l’accident, il avait vingt ans et après aussi, il avait vingt ans ».

2.2.4. Conclusion

Par rapport aux paires de procès dormir/téléphoner et arriver/pleuvoir pour lesquels les trois informatrices ont choisi les temps verbaux appropriés, ouvrir/sourire présente visiblement des difficultés : outre la double acceptation, toutes les apprenantes choisissent l’imparfait pour sourire lors des deux entretiens. Lee identifie le procès de sourire comme incluant dès le premier entretien, car elle saisit la portion antérieure lors du premier entretien, ainsi que, la portion chevauchée, lors du second : son choix erroné de l’imparfait se produit donc en toute connaissance de cause. Son erreur repose non sur l’analyse, mais sur le fait de privilégier une interprétation possible mais non typique de la situation. Par contre, Kim aborde le procès sourire isolément tout en analysant bien qu’il suit le procès d’ouvrir la porte. Si elle le relie bien à un autre, lors du second entretien, ce n’est pas au procès d’ouvrir comme l’impose quand, mais à celui de dire. Cette mise en relation erronée reflète la réalité pragmatique qu’elle veut exprimer (dire quelque chose en souriant) au nom de la « durée », au détriment de la contrainte donnée par la structure syntaxique (quand). Quant au rapport d’ordre avec ouvrir la porte, elle affirme toujours que sourire lui est postérieur : la relation de succession bien saisie entre ces deux procès ne fait pas l’objet d’un marquage linguistique chez elle.

De même, Kang qui verbalisait dans les deux entretiens le rapport d’inclusion pour les deux exemples précédents (dormir/téléphoner et arriver/pleuvoir) ainsi que pour un autre verbe (avoir vingt ans/avoir son accident de montagne), ne le saisit plus pour ouvrir et sourire en s’appuyant sur les rôles discursifs. La non-conscience de la conséquence du choix de l’imparfait pour sourire (l’antériorité de son début), ainsi que la successivité retenue, sont des indices de non-identification de la notion d’inclusion chez Kim et Kang.

Qu’est-ce qui cause un traitement différent pour la paire ouvrir/sourire ? La différence entre les deux premières paires de procès (dormir/téléphoner, arriver/pleuvoir) et celle d’ouvrir/sourire nous semble être que les premiers sont des procès d’activité dont la durée est plus marquée que celle de sourire. Ensuite la distance temporelle séparant les procès, dormir et pleuvoir d’une part, et téléphoner et arriver, d’autre part, est plus grande que celle qui sépare ouvrir et sourire. Outre les facteurs comme la structure syntaxique, les types de procès du verbe, la familiarité de la situation, ces différences peuvent être à l’origine du traitement différent des procès relevant du même rapport. Mais la dépendance de ces facteurs non pertinents nous semble montrer que le rapport d’inclusion, avec ce qu’il entraîne sur l’ordre des débuts des procès, n’est pas réellement identifié.

2.3. Discussion

Le choix du passé composé ou de l’imparfait ne repose pas sur une seule notion aspecto-temporelle : plusieurs d’entre elles entrent en jeu. Ainsi le choix de l’un ou l’autre temps peut être effectué non seulement à l’aide de la notion de bornage mais aussi à l’aide du rapport d’inclusion entre deux procès en relation. Le problème de choix de bornage observé chez nos apprenantes à propos de quelques procès (ne pas pouvoir ralentir, ne pas pouvoir trouver de place assise, avoir peur, avoir mal, et n’y avoir qu’un seul passant) peut se résoudre ainsi à l’aide de la notion d’inclusion entre intervalles.

Par exemple, dans L’enfant s’est retrouvé tout seul, il a eu peur et a réussi à partir lui aussi, le choix du temps verbal pour avoir peur peut être l’imparfait, si on analyse que son intervalle inclut celui de se retrouver tout seul. Dans ce cas, avoir peur commence avant se retrouver seul. Le choix peut être le passé composé, si l’on analyse que le procès avoir peur n’a pas de contact avec se retrouver seul. Dans ce cas, c’est un procès successif, débutant seulement après la fin du procès se retrouver tout seul. Comme il est plus logique que le procès avoir peur se produise à la suite du changement d’état, de celui où il n’était pas seul à celui où il est seul, l’emploi du passé composé s’avère plus approprié.

De même, pour le procès n’y avoir quune seule personne dans Elle l’a heurté violemment. Il n’y avait qu’une seule personne à cet endroit là, l’analyse du procès comme incluant heurter ou non peut déterminer le choix du temps : dans le cas de la vision inclusive avec le choix de l’imparfait, (il n’y avait qu’une seule personne), l’état qu’il n’y avait qu’une seule personne à cet endroit-là est effectif avant que la voiture heurte l’enfant. Dans l’autre cas, avec le passé composé (il n’y a eu qu’une seule personne), cet état se produit seulement après la chute de l’enfant. Cet état de chose étant improbable, ce choix peut être éliminé. Ainsi, le recours à cette notion de rapport d’inclusion repose, comme pour l’emploi de la notion de bornage, sur la compétence discursive de l’apprenant et sur ses connaissances du monde.

Le cas du procès ne pas pouvoir ralentir dans la phrase Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir, relève du même schéma. Avec le passé composé (n’a pas pu ralentir), temps de la vision globale, on a affaire à la successivité : ne pas pouvoir ralentir est vu comme se produisant après arriver au carrefour, même si l’intervalle entre les deux procès est infime. L’emploi de l’imparfait (il ne pouvait pas ralentir) marque toujours que le procès a commencé avant arriver au carrefour pour une quelconque raison. Mais le contexte du récit conduisant à interpréter le procès ne pas pouvoir ralentir comme survenant juste au moment d’arrivée au carrefour, c’est le passé composé qui s’avère approprié.

L’une des deux notions (le bornage ou l’inclusion) peut ainsi suffire pour un choix approprié de temps. Mais certains cas qui exigent la connaissance de chacune d’elles comme le cas de double bornage extrinsèque montrent qu’elles sont toutes indispensables.

3. Imperfectivité

L’aspect imperfectif saisit, à partir du moment repère, une portion de l’intervalle excluant les deux bornes. Par rapport à la notion d’inclusion qui tient compte de tout l’intervalle, l’aspect imperfectif ne saisit que la portion du milieu (b), sans considérer les autres portions de l’intervalle. La partie du milieu n’incluant pas les bornes, le procès est vu en déroulement :

 

 

[--------------]             

 

 

++++++++++

{-+-+-+-+-+-}+

++++++++     

 

a

b

c

 

( ------- : moment repère, ++++++ : moment de la situation)

(a : partie antérieure du procès incluant,  b : partie chevauchée, c : partie postérieure).

Du point de vue du type de procès, nous avons vu dans le chapitre précédent que la saisie de l’aspect imperfectif se faisait sans problème lorsque le verbe est un procès d’état ou d’activité, et avec des difficultés lorsqu’il est du type transitionnel. Mais le problème lié à l’aspect imperfectif ne concerne pas le type de procès du verbe proprement dit, et s’avère plus général et complexe. L’erreur dans la saisie de l’aspect imperfectif, provoquant une erreur de choix de temps peut résider dans la prise en compte des bornes de l’intervalle, dans le repérage du moment repère et, le plus souvent, dans l’analyse de la situation mettant en oeuvre la compétence macro-discursive. Certains procès utilisés dans un emploi particulier représentent des difficultés supplémentaires pour nos informatrices. Nous allons examiner chacun de ces cas à problème.

3.1. Erreur dans la prise en compte des bornes de l’intervalle

L’aspect imperfectif qui n’inclut pas les deux bornes de l’intervalle dans la saisie d’un procès nécessite néanmoins la connaissance de la configuration de ses bornes : le franchissement de la borne gauche, signifiant que le procès est entamé, et le non-franchissement de la borne droite, signifiant que le procès n’a pas abouti. Lors du premier entretien, les apprenantes prennent en compte seulement une des deux bornes, ce qui provoque un choix de temps erroné. Ce phénomène s’observe à propos du verbe partir :

3.1.1. Lee

Lors du premier entretien, Lee choisit un temps erroné pour partir et ce n’est qu’au bout d’une longue interaction avec l’enquêtrice qu’elle arrive à trouver la forme appropriée. Nous reprenons la séquence déjà examinée et commentée dans le chapitre précédent :

 

(Extrait 11) 2-1 Dimanche dernier, j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix (Lee I, fr.)

1 L : Dimanche (E : hm) XXX (E : j’ai rencontré Paul qui ?) +++ hm... ++ qui a/ euh.. qui était parti ? (E : qui était parti) pour Chamonix (E : hm-hm) (...) qui était parti (E : était parti) hm +++ je je

2 E : Oui tu écris comme ça pour ne pas oublier ce que tu as dit avant si jamais tu changes <d’avis (rire) (L : <(rire)) +++ Voilà + di<manche dernier j’ai rencontré Paul qui était parti ++ Alors donc dimanche dernier donc... + hm j’ai rencontré Paul qui était parti, était parti c’est quel temps ?

3  L : Plus-que-parfait non ?

4  E : Plus-que-parfait + n’est-ce pas ? <Parce que là (L : <hm) était c’est au... à l’imparfait plus participe passé, c’est plus-que-parfait. + Qui était parti pour Chamonix il avait + beaucoup de bagages et ses ski sur l’épaule c’est-à-dire quand je l’ai rencontré Paul (L : oui) et + il allait partir <parce qu’il avait.. (L : <hm) il a beaucoup de bagages ++ là + ça c’est imparfait non ? <Il avait (L : <hm) beaucoup de bagages +

5  L : Oui et... j’ai rencontré qui... (E : et là ) qui partirait ?

6  E : Qui partirait ? partirait ? C’est-à-dire comment ? Euh tu peux noter là ?

7  L : Qui était en train de partir (rire) (E : oui) qui.. partirait +

8  E : Partirait ? euh.. futur ? ou..

9  L : Futur dans le passé.

10 E : Ah comment on écrit futur dans le passé ?

11 L : C’est conditionnel (E : hm-hm) partirait. (E : hm) + Je ne sais pas (E : hm) ah... c’est/ c’est pas... c’est pas juste ça.

12 E : Pour/ plus-que-parfait c’est pas bon ?

13 L : C’est pas bon parce que.. <en ce moment (E : <hm) elle n’a/ elle/ elle n’est pas encore partie (E : Ah... hm-hm don-c...) hm<...

14 E : <Qu’est-ce qu’il faut mettre ?

15 L : J’ai rencontré Paul qui... qui était en train de partir eh/ qui prépare + qui préparait ++ de partir pour Chamonix (E : hm-<hm) <Il avait beaucoup de bagages et ses skis sur l’épaule (E : hm-hm) C’est en train de... partir en train de venir + oui +

16 E : Ah bon ?

17 L : Je ne sais pas.

18 E : Mais... regardons il faut mettre le (rire) verbe partir là (L : partir ?) hm ++ (L : <XXX) <J’ai rencontré Paul qui ? +

19 L : Sauf ça <hm.. (E : <hm) avec... cette ce/ ces phrases (E : hm) dans le contexte je crois <que... (E : <que il est en train de...) on on peut pas... (E : savoir ?) savoir il était en train de venir <ou de.. partir (E : <ou hm)

20 E : Oui ça on ne sait pas donc/ mais + là il faut mettre le verbe partir (L : hm) Donc.. c’est clair il est il revient pas mais il part là maintenant

21 L : Partirait ?

22 E : Hm partirait ? comme ça ?

23 L : Bizarre + par..+ partait ?

24 E : Partait ? Parce que quand tu as mis préparait de partir tout à l’heure (L : hm) tu as mis à l’imparfait <parce que (L : <partait hm) tu te souviens ? (L : hm) Juste tout à l’heure euh j’ai rencontré Paul qui préparait de partir tu as dit <ça. (L : <hm) Donc... toi tu as dit <à l’imparfait

25 L : <C’est pas était parti c’est parti... ah/ partait

26 E : Partait (L : oui) à l’imparfait (L : oui) hm-hm. D’accord. Donc ça veut dire quoi ? Ici l’imparfait c’est qu’il est pas encore parti ?

27 L : C’est pas <encore parti

28 E : <Et il est...

29 L : Je pensais que c’est le fait.. de passer (E : oui) avant (E : hm) mais maintenant je.. ne pense pas comme ça ++ C’est euh..

30 E : C’est-à-dire tu as pensé qu’il était.. déjà parti ? + <c’est-à-dire...

31 L : <Non en train de partir

32 E : Ah en train de partir

33 L : Oui c’est comme ça partait

34 E : Partait donc à l’imparfait. (L : hm).

 

Lee choisit successivement était parti (1, 3) et partirait (5) avec une vision globale du procès à travers la saisie de l’état d’antériorité ou de la postériorité du procès par rapport au moment-repère (dimanche dernier). Mais la forme partirait semble avoir la valeur de l’aspect imperfectif pour Lee, car elle a recours, pour l’expliquer, au moyen périphrastique était en train de partir (7), tout en nommant partirait comme « futur dans le passé » (9). Peu après, elle prend conscience que l’antériorité du procès, exprimée par le plus-que-parfait, n’est pas appropriée (13) et fait référence à l’aspect imperfectif (« en ce moment elle n’est pas encore partie ») en saisissant le non-franchissement de la borne droite. Elle essaie de trouver le moyen linguistique qui l’exprime (15, 21). Elle arrive finalement à l’imparfait (23, 25) qu’elle confirme à la fin (33). On observe que pour exprimer l’aspect imperfectif, Lee porte son attention d’abord à la borne droite et au fait qu’elle n’est pas franchie.

3.1.2. Kang

La saisie du non-franchissement de la borne droite est aussi observée chez Kang :

 

(Extrait 153) 2-1 Dimanche dernier, j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix (Kang I, fr.)

1  K : ++ Qui... qui partirait ? (E : qui partirait ? <pour Chamonix) <pour Chamo Chamonix (E : hm-hm) (...)

2  E : Bon dimanche dernier j’ai rencontré Paul qui partirait partirait c’est quelle forme ?

3  K : C’est (rire) futur dans le passé (rire)

4  E : Ah futur dans le passé ? hm-hm j’ai rencontré (bas) c’est-à-dire il est déjà parti ? non

5  K : Non

6  E : Quand euh.. je l’ai rencontré il est pas encore parti (K : hm-hm) mais +

7  K : Il va partir (...) ou bien on peut dire qui allait + <partir (E : <ah + qui allait) partir

8  E : Partir + hm-hm + pour Chamonix + c’est-à-dire.. ++ il y avait beau/ il avait beaucoup de bagages c’est-à-dire + il est déjà parti de chez lui ? + qu’est-ce que tu penses ? est-ce qu’il est +

9  K : Il est déj/ bien sûr il est déjà parti chez/ de chez lui

10 E : De chez lui donc il a déjà/ pris des bagages n’est-ce <pas ?

11 K : <Hm mais pour Chamonix <il... (E : <hm) il n’est pas encore parti

12 E : + Ah c’est-à-dire ? il.. il n’est pas encore\ (bas)

13 K : Il va partir

14 E : Il va partir c’est-à-dir/ il va prendre le train (K : hm-hm) c’est ça ? hm ++ donc pour toi soit on peut dire qui allait partir et soit qui partirait (K : hm-hm) pour Chamonix + <hm-hm

15 K : <XXXX (bas) c’est un peu bizarre mais (rire)

16 E : Qu’est-ce qui est bizarre ?

17 K : Moi je je sais pas c’est p/ + ça me semble ça me semble ++ pas naturellement (rire) <pas naturel

18 E : <Qu’est\ qu’est-ce qui n’est pas..

19 K : Je ne sais pas si <si je le sais (rire)

20 E : <C’est allait partir ? ou euh.. qui partirait ? qu’est-ce qui te paraît un peu bizarre ?

21 K : Je je ne sais pas

22 E : Les deux ?

23 K : Oui

24 E : Hm.. + hm-hm +++++ attends parce que bon tu vois un peu l’histoire ? c’est-à-dire cette personne a rencontré Paul + et... Paul est donc dans la rue je suppose <hein ? (K : <hm-hm) peut-être et.. Paul il est déjà parti de chez lui il avait des bagages les skis etc. sur lui (K : hm-hm) c’est-à-dire pour lui il est déjà parti non ? c’est-à-dire bon il n’a pas encore pris le train mais quand même il est il est parti de chez lui <euh.. c’est-à-dire\

25 K : <Euh.. je je j’ai compris

26 E : Oui + n’est-ce pas ?

27 K : Hm j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix (rire)

28 E : Ah qui partait ?

29 K : Oui

30 E : Donc c’est l’imparfait ? (K : oui) hm + c’est-à-dire ça veut dire quoi ? euh.. qui.. qui partait c’est-à-dire

31 K : Paul <il est/ il était.../

32 E : <Il est parti mais pas exactement encore parti ? (rire) ou

33 K : Il est en train de partir (rire) <pour Chamonix (rire)

34 E : <Ah il est en train de <partir pour Chamonix

35 K : <Peut-être il marchait (rire) (E : hm-hm)

 

Comme Lee, Kang choisit le conditionnel (1), « futur dans le passé » (3) qui, en principe, porte une vision globale du procès. Mais elle conçoit bien le procès comme non fini (4-5). Kang n’a donc pas une vision globale du procès : comme nous l’avons observé chez Lee, Kang focalise son attention seulement sur sa borne droite qu’elle situe dans le futur par rapport au moment repère. Cette localisation de la seule borne droite se manifeste encore dans la périphrase du futur proche qu’elle emploie au passé (7). La borne gauche ne fait pas l’objet de son attention, mais à la demande de l’enquêtrice qui propose de la considérer (8), elle l’analyse comme franchie (9), mais pas la borne droite (11). En effet, en prenant la borne finale du procès comme seul critère, le procès ne peut être vu qu’en terme « parti » ou « non parti ». Ainsi, tant que la borne droite n’est pas fermée, le procès en déroulement s’analyse comme celui qui se réalise dans le futur, d’où le conditionnel et la périphrase allait partir. Mais l’adverbe encore contribue à nuancer cette dichotomie et renvoie au fait que le procès est tout de même entamé. Kang trouve « bizarre » ou « pas naturel » ses propres propositions (15, 17), sans doute parce qu’elle sent la contradiction entre sa conception du procès entamé et les expressions qu’elle a employées (conditionnel, futur proche), qui, plaçant le procès en entier dans le futur, désignent un procès non entamé. L’enquêtrice reformule la situation (24) et c’est à ce moment-là que Kang trouve le moyen linguistique qui exprime la conception du procès qui a commencé, entamé, mais pas encore fini (27) : l’imparfait. Elle est capable par la suite d’exprimer cet état de procès par la périphrase ‘être en train de partir’ (33), qu’elle reformule avec un autre verbe marcher, lui-même fléchi à l’imparfait (35).

Kang concevait le procès de partir dès le début comme en déroulement, mais la prise en compte de la borne droite seule la conduit à le situer dans le futur et à choisir le conditionnel et le futur proche. Comme chez Lee, c’est après l’éclaircissement apporté par l’enquêtrice que Kang emploie sans hésitation l’imparfait correspondant mieux à sa conception imperfective du procès.

3.1.3. Kim

On observe chez Kim le même phénomène de prise en compte d’une seule borne de l’intervalle :

 

(Extrait 89a) 2-1 Dimanche dernier, j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix (Kim I, fr.)

1  E : <Dimanche dernier (K : oui) j’ai rencontré Paul toi tu as écrit qui EST parti (K : oui) <pour XXX

2  K : <Oui j’ai j’ai écrit comme ça (E : ouais) hm..

3  E : Maintenant qu’est-ce que tu penses ?

4  K : ++ Ah.. + oui j’arrive à... ++

5  E : Tu as écrit à ce.. à cette époque déjà il y a... combien de mois là (rire) (K : (rire)) euh peut-être six mois (K : hm) dimanche dernier j’ai rencontré Paul qui est parti alors tu as <mis (K : <qui est par\) euh au passé composé parce que ?

6  K : Euh.. partait c’est un peu..

7  E : Tu as pensé à la possibilité euh de mettre ça ? comme ça ? <il partait ?

8  K : <Oui oui

9  E : Tu as pensé à ça aussi ? + à ce moment là ?

10 K : Oui à ce moment là j’ai pensé passé composé (E : hm) + mais<.. \

11 E : <Donc tu as écrit tout de suite facilement <tu as mis (K : <oui) au passé composé ?

12 K : Oui passé composé

13 E : Hm tu n’as pas hésité ?

14 K : Oh.. (E : hm) je/ je/ je n’ai jamais hésité (E : hm) + normalement on... on utilise on n/ + passé composé n’est-ce pas ?

15 E : Oui parce que c’est une phrase<... (K : <je.. oui) qui raconte quelque chose qui est passé et en plus ça a commencé j’ai rencontré Paul qui +

16 K : Ah... oui + en train de + partir ? ça veut dire ? (E : hm-<hm) <partait ? qui était en train de partir pour Chamonix ? (E : hm-hm) c’est..

17 E : Oui oui si tu mets ça tu crois que le sens de l’imparfait <c’est plutôt ça ?

18 K : Oui oui oui

19 E : En train <de (K : <en train de) hm + mais.. si tu mets au passé composé qu’est-ce que ça signifie ?

20 K : Ah ça signifie que/ + Paul est déjà parti ++ sa maison (rire)

21 E : Paul est déjà parti de sa maison (K : oui) mais pas.. encore <il est pas encore arrivé à Chamonix

22 K : <Pas encore.. arrivé/ oui oui oui c’est ça

23 E : Hm... j’ai rencontré Paul qui est.. parti +++ c’est-à-dire j’ai rencontré Paul euh.. qui <est parti de sa maison (K : <qui est parti /se/ sa maison) et qui était sur le chemin <ou...

24 K : <Oui c’est ça oui (E : hm) j’ai j’ai pensé comme ça

25 E : Ah tu as pensé comme ça ? hm qui est parti pour Chamonix +++

26 K : Mais maintenant imparfait /se/ <c’est mieux

27 E : <C’est mieux ?

28 K : C’est <mieux (E : <hm) ++ au début j’ai pensé + (E : hm) comme ça (E : hm-hm) ce que j’ai dit tout à l’heure (E : hm) oui

29 E : J’ai rencontré Paul qui est parti hm-hm ++

 

Kim témoigne que, lors du passage du test dans sa classe de français, elle avait choisi le passé composé pour partir (2). Ce choix se présentait à elle comme une évidence (14). Il était fondé à l’antériorité du procès par rapport au moment repère, la rencontre (20). Mais la suite de l’interaction montre qu’en réalité, Kim concevait correctement le procès partir en déroulement, car la borne droite n’est pas perçue comme fermée (21-24). En choisissant le passé composé, elle marquait en fait non l’antériorité du procès en entier par rapport au moment repère, mais celle du seul point initial du procès et le considérait comme franchi. Cette saisie particulière du procès la distingue des autres apprenantes, Lee et Kang, qui elles, prenaient en compte du point final du procès (« fini », « pas fini »). Connaissant la bonne réponse, Kim prend conscience que l’imparfait qui lui semblait d’abord quelque peu incompréhensible (6) signifie ‘être en train de partir’ (16) et comprend que cette forme correspond mieux à sa conception du procès, bien analysée dès le début (26).

Nous avons observé que la seule prise en compte de la borne gauche ou droite de l’intervalle a mené nos apprenantes à un choix de temps verbal erroné. Mais celles-ci ont pu aboutir, à travers un parcours laborieux, à la forme verbale appropriée, correspondant à leur conception du procès.

3.2. Erreur dans le repérage du moment repère

La saisie appropriée de l’aspect imperfectif nécessite également le bon repérage du moment repère. Nous observons un problème de ce type chez Kang lors du second entretien pour le même verbe partir :

 

(Extrait 154) 2-1 Dimanche dernier, j’ai rencontré Paul qui est parti pour Chamonix (Kang II, cor.)

1 E : Alors, passons au 2 + Dimanche dernier

2 K : Hm + Dimanche dernier (E : hm) j’ai rencontré Paul (E : hm) +++ j’ai rencontré Paul qui XX Chamonix XXX (bas) XXXXX (bas) +++++++ Je sais tout le reste, (E : hm) je ne sais pas pour le premier.

3 E : Hm… Tu confonds entre quoi et quoi ?

4 K : Là je/ Je raconte la situation où j’ai rencontré Paul. (E : hm) Mais dans la situation de la rencontre, le Paul, Paul de maintenant est parti à Chamonix et il n’est plus là, mais Paul il est il est déjà parti pour Chamonix. (E : hm) Si on parlait de maintenant (E : hm) Mais c’est écrit je l’ai rencontré (E : hm) ++ hier ah/ dimanche dernier je l’ai rencontré (E : hm) XX Dimanche dernier, Paul n’est pas encore parti à Chamonix. (E : hm) J’ai rencontré Paul qui… + qui… allait partir pour Chamonix (E : hm) ou avec le futur du passé qui allait partir. Ou (E : hm) vraiment simplement (E : hm) qui est parti pour Chamonix. (E : qui est parti) Hm.

5 E : Qui est parti, qu’est-ce que ça veut dire ?

6 K : + J’ai rencontré qui… est parti/ qui.. qui est parti pour Chamonix (bas) +++

7 E : Mais allait partir et qui est parti les deux sont possibles, mais le sens serait un peu différent ?

8 K : Oui

9 E : Com<ment ?

10 K : <Quand on dit qui allait partir, Paul qui est parti à Chamonix, c’est-à-dire j’ai rencontré Paul (E : hm) et il allait partir à Chamonix. (E : hm) C’est ça le sens. (E : hm) Et j’ai rencontré Paul qui est parti pour Chamonix (E : hm), j’ai rencontré Paul (E : hm), mais tu sais, il est parti à Chamonix, comme ça. (E : + Ah…) Donc j’ai rencontré Paul qui est déjà parti à Chamonix (E : Il est déjà parti) et ce Paul qui n’est plus là (E : hm), je l’ai rencontré dimanche <dernier.

11 E : <Ah donc au moment où on parle, il n’est plus là

12 K : Oui

13 E : Parce qu’il est parti dimanche dernier, (K : Oui) mais je l’ai rencontré dimanche dernier, lui qui n’est plus là.

14 K : <Oui (E : <Ah… comme ça) XX C’est-à-dire, le premier n’est vraiment pas sûr/ Je ne sais pas comment expliquer. (E : hm)

 

Dès le début de la lecture du récit à haute voix, Kang exprime son indécision (2). Comme dans le premier entretien, elle propose la périphrase du futur proche aller partir et aussi le passé composé (4). Avec allait partir, elle semble situer encore la seule borne droite dans le futur, comme lors du premier entretien, tout en se référant à l’aspect imperfectif (10). Avec le passé composé, Kang exprime deux faits : i) la rencontre a eu lieu « dimanche dernier », ii) « étant parti à Chamonix, Paul n’est plus là au moment où je parle » (10). C’est ce second fait, l’aspect perfect résultatif prenant comme repère le moment de locution, qui est pris en charge par le passé composé. En donnant cette valeur au passé composé, Kang introduit deux moments repères dans la même phrase, dimanche dernier et le moment de locution, ce qui est une erreur. Elle termine la séquence par un aveu de son incapacité d’explication (14). Contrairement à Lee et Kim qui choisissent l’imparfait sans problème lors du second entretien, Kang fait une erreur non seulement dans le repérage du moment repère mais aussi dans la prise en compte des bornes de l’intervalle comme dans le premier entretien, ce qui entraîne des choix de temps erronés.

3.3. Analyse de la situation erronée

L’erreur dans la saisie de l’aspect imperfectif peut résider encore dans l’analyse erronée du contexte macro-discursif. Nous observons ce phénomène chez Lee et Kim.

3.3.1. Lee

Dans l’extrait déjà vu à propos de partir, on constate que Lee éprouve une difficulté d’interprétation du procès, en particulier pour sa localisation temporelle par rapport au moment repère :

 

(Extrait 11a) 2-1 Dimanche dernier, j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix (Lee I, fr.)

1 L : Dimanche (E : hm) XXX (E : j’ai rencontré Paul qui ?) +++ hm... ++ qui a/ euh.. qui était parti ? (E : qui était parti) pour Chamonix (E : hm-hm) (...) qui était parti (E : était parti) hm +++ je je

2 E : (...) Voilà + di<manche dernier j’ai rencontré Paul qui était parti ++ Alors donc dimanche dernier donc... + hm j’ai rencontré Paul qui était parti, était parti c’est quel temps ?

3 L : Plus-que-parfait non ? (...)

4 L : J’ai rencontré Paul qui... qui était en train de partir eh/ qui prépare + qui préparait ++ de partir pour Chamonix (E : hm-<hm) <Il avait beaucoup de bagages et ses skis sur l’épaule (E : hm-hm) C’est en train de... partir en train de venir + oui +

5 E : Ah bon ?

6 L : Je ne sais pas.

7 E : Mais... regardons il faut mettre le (rire) verbe partir là (L : partir ?) hm ++ (L : <XXX) <J’ai rencontré Paul qui ? +

8 L : Sauf ça <hm.. (E : <hm) avec... cette ce/ ces phrases (E : hm) dans le contexte je crois <que... (E : <que il est en train de...) on on peut pas... (E : savoir ?) savoir il était en train de venir <ou de.. partir (E : <ou hm)

9 E : Oui ça on ne sait pas donc/ mais + là il faut mettre le verbe partir (L : hm) Donc.. c’est clair il est il revient pas mais il part là maintenant

 

Après la première proposition de Lee pour partir, le plus-que-parfait (3), elle tente d’exprimer l’aspect imperfectif mais manifeste son doute à propos du fait que la rencontre a lieu au départ ou au retour de Paul (4-6). Le choix du plus-que-parfait est sans doute basé sur une vision de la rencontre comme ayant lieu au retour. Lee exprime ce doute de façon plus claire en 8 et l’enquêtrice essaie d’abord de ne pas l’influencer mais finit par donner la réponse en 9. Lors du second entretien, le même doute persiste :

 

(Extrait 155) 2-1 Dimanche dernier, j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix (Lee II, cor.)

1 L : Ensuite, dimanche soir ça aussi j’avais du mal. Hm ++ C’est-à-dire, la situation globale ne me paraît pas suffisamment (E : hm) hm... ++ euh... n’était pas très claire pour moi. (E : hm) Donc + euh j’ai rencontré Paul. (E : hm) Je ne sais pas si Paul est maintenant à Paris/ il est de retour (E : hm) ou il est parti et n’est plus là (E : hm)

2 E : Même si tu as lu toute l’histoire ?

3 L : ++ La dernière fois/ je me souviens que je ne savais pas trop (E : hm) (...)

4 E : Oui et alors ?

5 L : Dimanche dernier j’ai rencontré Paul (E : hm) hm... +++++++++ j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix

6 E : Hm tu as décidé comme ça ?

7 L : + Oui (rire) (...) Hm. Ce qui m’a posé un problème la dernière fois (E : hm) c’était qui partait et qui est parti. Le reste ça allait et seulement le premier et le quatrième (E : Hm hm le quatrième)

8 E : Donc tu dis que maintenant partait est mieux.

9 L : + Oui. Parce que Paul est une tierce personne. (E : hm) Mais, je ne sais pas trop. Selon que Paul est revenu ou pas, je pense que c’est différent. (E : hm hm) Donc soit on ne sait pas si Paul est revenu ou non (E : hm), s’il est pas revenu, je pense qu’on peut dire qui partait. (E : hm) On raconte juste la situation.

10 E : C’est une situation ?

11 L : Hm. Soit c’est une situation ou alors le... hm c’est-à-dire, la situation du passé (E : hm), dans le passé. + Hm ++ Paul + qui était en train de partir (E : Paul qui était en train de < partir) < Hm hm Paul qui par/ allait partir, partait. (E : hm) Hm. Ensuite...

10 E : Mais si il est parti et est revenu, dans ce cas

11 L : Non non, même s’il était revenu (E : hm) ce ne serait pas le passé composé. ++ Non non donc même avec le passé composé, j’ai l’impression qu’il n’est pas revenu. (E : hm...) Quand on dit qui est parti, il est complètement + parti maintenant. (E : hm) + Donc il n’est plus là. (E : hm) Qui est parti, c’est une situation où il n’est plus là, et qui partait, j’ai l’impression que c’est quand on parle sans y penser. (E : hm) + Donc euh... +

 

Lee se souvient bien de son incertitude lors du premier second entretien (non enregistré), concernant la présence de Paul sur le lieu de la rencontre au moment de locution, de son doute sur la situation de Paul au moment de la rencontre (s’il part ou s’il en revient) (1). Dans ce second entretien enregistré une seconde fois, Lee choisit bien l’imparfait (5). Ce qui la motive est différent du premier entretien : elle fait appel à une notion de tierce personne (9). C’est une notion que nous avons observée chez Kang (II) dans le cas du procès ouvrir (3-1 quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit...) : pour Kang, selon que le locuteur prend comme point de vue celui de la femme ou celui de l’homme, il peut employer le verbe ouvrir ou sourire à l’imparfait. Lee se montre toujours indécise sur le fait que Paul est revenu ou non de Chamonix, et avance que le choix du temps en dépend (9) : si la rencontre a lieu à son départ, ce serait l’imparfait, dit-elle, en s’appuyant sur le rôle discursif : « on raconte juste la situation » (9), « la situation du passé » (11). La référence à l’aspect imperfectif (« Paul qui était en train de partir ») est utilisée comme explication du rôle discursif local d’arrière-plan (situation du passé). L’enquêtrice interroge sur le cas où la rencontre a lieu au retour de Paul (10) et Lee s’aperçoit que le passé composé supposé n’est pas approprié, son emploi désignant l’absence de Paul au moment de locution. En fonction de cette idée, Lee reformule l’emploi de l’imparfait : celui-ci ne dit rien sur la présence de Paul ou son absence au moment de locution (11).

Contrairement au premier entretien où le fait de considérer la rencontre comme ayant lieu lorsque Paul part ou lorsqu’il revient donnait lieu à deux formes différentes (respectivement, l’imparfait et le plus-que-parfait), Lee aboutit, lors du second entretien, au choix unique de l’imparfait, le passé composé ne correspondant à aucune des deux possibilités. La confusion d’ordre macro-discursif qui par ailleurs s’est quelque peu dissipée lors du second entretien était ainsi à l’origine de choix de temps erroné.

3.3.2. Kim

Deux exemples montrent aussi que certaines erreurs autour de l’aspect imperfectif chez Kim proviennent d’une erreur d’analyse macro-discursive : arriver et courir.

3.3.2.1. Arriver

Lors des deux entretiens, Kim choisit spontanément le passé composé pour le second arriver dans Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait.

 

(Extrait 13a) 6-7 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture est arrivée (Kim I, fr.)

1  K : Et il /a/ tombé sur l’avenue d’Italie juste au moment où une voiture est arrivée (E : hm) (...) est tombé (E : hm) sur l’avenue d’Italie (E : hm) juste au moment où une voiture est arrivée (E : + hm-hm)

2  E : + Et don<c... (K : <ah...) là il y a une correction (K : une correction) hm (K : hm) ++++ alors tu as mis au passé composé parce que +++ au moment où une voiture est arrivée

3  K : (soupir) +++ Peut-être euh... j’ai pas j’ai pas bien... remarqué (E : hm) oui +

4  E : Alors quand on utilise l’expres<sion (K : <au moment où) au moment où est-ce que on on utilise un peu systématiquement (K : -ment <imparfait) <imparfait ? il a expliqué comme ça ?

5  K : Oui oui

6  E : + Ah bon ? hm hm hm

7  K : Il a il a raison au moment <où (E : <au moment où) c’est pas... ++ c’est pas fini (E : <ouais) <au moment où <c’est un peu... (E : <ouais) le sens de la durée (E : hm-hm)

8  E : Au moment où une voiture arrivait +++++ alors pour toi quand tu utilises... passé composé ou l’imparfait pour toi il y a une différence de sens ou.. ?  + <XX

9  K : <Oui il y a une différence (E : ah oui ?) de sens normalement il y a... il y a...  XXX

10 E : Hm-hm et par exemple dans cette phrase euh... est-ce que tu vois une différence ?

11 K : ++ Oui ++

12 E : Quelle différence ?

13 K : +++ Hm.. ++

14 E : Si on utilise l’imparfait au moment où une voiture arrivait

15 K : ++ Une voiture arrivait (E : hm) ++ euh... ça veut dire euh une voiture (E : hm) euh... ++++ n’a pas encore arrêté (E : <hm-hm) <arrêté + arrivée (E : d’accord) mais il me semble que une voiture <est arrivée (E : <est arrivée + <c’est-à-dire) <la voiture arrêtée

16 E : <Arrêté ? il ne bouge pas ?

17 K : <Oui arrêté il bouge... <oui oui (E : <ah d’accord) XXX <et c’est...

18 E : <Est-ce quand il a fait la correction tu as compris ça ? à ce moment là ? ou... ++ tu avais déjà <XXX la ? ou....

19 K : <Il y a très longtemps (rire) ça fait (rire) (E : ça fait pas un an mais ça fait... <(rire)) <(rire) huit mois n’est-ce pas ? cinq cinq mois ? ++ euh novembre ? (E : oui à peu près cinq <mois) <décembre ? novembre ? novembre (E : c’était au mois de <novembre) <ah novembre novembre décembre janvier février mars oui oui à peu près cinq mois

20 E : Donc à ce moment là quand/ (K : hm) tu as corrigé tu as compris tout de suite <quelle est la différence ?

21 K : <Oui oui oui oui (E : +++) O.K. ? on.. (E : hm hm)

 

Kim s’était trompée lors du passage du test en choisissant le passé composé pour arriver. Sachant qu’après la correction du professeur, l’imparfait est la bonne réponse, elle s’explique la différence entre les deux emplois sur la base de la prise en compte de la borne droite de l’intervalle (15) : l’imparfait marque la non-inclusion de la borne droite dans la saisie du procès (« une voiture n’a pas encore arrêtée, arrivée »), le déroulement du procès. Son analyse du procès étant la prise en compte de la borne (« une voiture est arrivée, arrêtée »), elle avait choisi le passé composé. La vision d’un procès « arrêté » nécessite en effet son emploi, et de ce point de vue, la mise en relation entre l’analyse du procès et le choix du temps est appropriée. Mais c’est la conception même du procès qui est erronée dans le contexte donné : si la voiture s’était arrêtée, il n’y aurait pas eu l’accident. Avec cette analyse, Kim perd la cohérence du récit. On peut se demander si la saisie de la borne droite n’a pas été influencée par la nature télique du procès arriver, comportant déjà la clôture droite dans sa sémantique ou par le caractère momentané de la transition du procès qui fait qu’on a plus de facilité pour saisir le résultat statique que le déroulement. Lors du second entretien, Kim effectue, au début, la même analyse et choisit encore le passé composé :

 

(Extrait 85a) 6-7 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait (Kim II, cor.)

1 K : Mais au moment où (E : hm) une voiture est arrivée (E : hm), à cette seconde là (E : hm) donc ça me semble presque ++ hm… ++ simultané. Donc au moment où une voiture est arrivée, + oui au même moment euh (E : hm) + la voiture arrive et l’enfant arrive aussi au carrefour. (E : hm) + C’est pour ça que j’ai mis aussi le passé composé ici. Il n’était pas en train d’arriver pour arriver ici hm… ++++ Ah attends comment ça se passe ? Il arrive au carrefour et est tombé faute de pouvoir ralentir, à ce moment là, ah/ donc au moment de son arrivée + il est tombé. La voiture passe et ++++ Ah là je voudrais changer encore. (E : hm) Pour une voiture arrivait. (E : hm) Oui.

2 E : Pourquoi ?

3 K : Parce que, (rire) pour le premier, c’est que l’enfant jouait seul et est arrivé au carrefour. (E : hm) Il n’a pas pu réduire la vitesse et il est tombé. (E : hm) Il est tombé par sa mauvaise manœuvre. Tout ça c’est une action et au moment similaire, mais différent, une voiture s’approche et arrive, après que l’enfant soit tombé. (E : hm) C’était la situation où elle arrivait, (E : hm) où elle s’approchait. (E : hm) La situation où elle s’approchait [takao-ko it-nû-n] ++++ <Il me semble que c’est ça. La voiture

4 E : <La voiture était en train d’arriver et

5 K : Hm. Elle arrivait. [o-ko it-ôt-ô-yo] C’est pour ça que j’ai mis l’imparfait. (E : hm)

 

Le choix du passé composé pour arriver, basé sur la clôture de la borne droite de l’intervalle, persiste dans le second entretien. Ainsi, Kim conçoit comme simultanées l’arrivée de l’enfant au carrefour et celle de la voiture. La borne droite fermée du procès de la voiture est exprimée par la négation de l’aspect imperfectif (« il n’était pas en train d’arriver ») (1). Mais après un moment de réflexion, Kim change d’avis pour arrivait en concevant le procès finalement en déroulement (1), ce qui est exprimé par l’emploi de -ko it en coréen (« la situation où elle arrivait, elle s’approchait ») (3, 5).

La saisie appropriée du procès en déroulement a donné lieu au bon choix du temps, même si le procès est analysé de façon erronée comme survenant après la chute de l’enfant. Le développement de la compétence macro-discursive, de la sensibilité à la cohérence du récit, a rendu possible l’autocorrection.

3.3.2.2. Courir

Si l’on constate une amélioration dans l’analyse macro-discursive lors du second entretien, elle ne s’observe pas systématiquement pour tous les procès : le cas du verbe courir est un exemple inverse où l’on observe chez Kim une erreur d’analyse macro-discursive lors du second entretien alors qu’elle avait choisi le temps approprié lors du premier :

 

(Extrait 156) 6-10 Ce passant a couru à la cabine téléphonique d’à côté pour appeler police secours (Kim I, fr.)

1 K : Ce passant a couru (E : hm-hm) dans la cabine téléphonique d’à côté pour appeler police secours (E : hm-hm) + oui il y a pas de problème

2 E : Il y a pas de... on ne peut pas mettre.. courait ? à l’imparfait ? ce passant courait dans la cabine téléphonique ?

3 K : +++++++++

4 E : Là tu n’as pas eu de d’hésitation <quand tu as écrit ça ?

5 K : <Non non je n’ai pas eu d’hésitation (E : hm...) ++++++ pour moi ce n’est pas la peine d’emploi d’employer (E : hm) l’imparfait (E : hm) ah/ dans cette phrase

6 E : Hm-hm +++ O.K.

 

Kim choisit sans hésitation et « sans problème » le passé composé pour courir. A la demande de considérer l’imparfait (2), elle ne trouve pas d’explication de sa non-acceptabilité et parle en terme d’inutilité de son emploi (5). Malheureusement, l’enquêtrice ne sollicite pas non plus davantage de développement. Mais pour ce cas qui lui semblait évident, Kim choisit curieusement l’imparfait lors du second entretien en saisissant l’aspect imperfectif (3) :

 

(Extrait 157) 6-10 Le passant courait à la cabine téléphonique d’à côté pour appeler police secours (Kim II, cor.)

1 K : Il n’y avait qu’une seule personne à cet endroit là. Ce passant + couri- couriait ? quelle est la forme du verbe couriait ?

2 E : Courait ah à l’imparfait ?

3 K : Ah courait oui courait et dans.. dans la cabine d’à côté pour appeler police secours. (...) Et ensuite ce passant + hm il était en train de courir vers la cabine téléphonique à côté pour appeler police secours. (E : hm) Je le vois courir (E : hm) et après son arrivée, il téléphone.

 

Ici aussi, la mise en relation de la conception du procès (en déroulement) et du choix de la forme verbale (imparfait) est appropriée mais l’erreur réside dans la mauvaise conception du procès, qui provient d’une erreur d’analyse macro-discursive.

3.4. Analyse de la situation erronée due à un emploi particulier

Certains verbes utilisés avec un emploi particulier font l’objet d’une erreur d’analyse et entraînent un choix de temps erroné. Ce n’est alors pas l’analyse macro-discursive qui est en jeu mais la compréhension du sens du procès lui-même. Le procès ne pas le reconnaître semble ne pas être compris dans son contexte et s’avère être un cas difficile car toutes les apprenantes se sont trompées lors des deux entretiens. Par contre un verbe comme arriver au carrefour concerne seulement Lee.

3.4.1. Ne pas le reconnaître

Le procès reconnaître quelqu’un est compris en général dans son sens premier et habituel d’identifier une personne connue. Cette compréhension entraîne spontanément l’emploi du passé composé chez les trois informatrices pour reconnaître dans quand il en [de l’hôpital] est sorti, il était très faible et très maigre : on ne le reconnaissait pas. Or, reconnaître est employé ici dans le sens d’identifier la personne avec les traits physiques habituels qui la caractérisent. Tant que la personne ne retrouve pas son aspect physique habituel, le procès ne pas le reconnaître continue. Ainsi ce verbe transitionnel endosse ici la même caractéristique que les verbes d’état être faible et être maigre (qui désignent eux-mêmes des états transitoires dans le récit), et peut prendre l’imparfait avec une valeur imperfective.

3.4.1.1. Lee

Lors du premier entretien, après le choix du passé composé, Lee propose la double acceptabilité :

 

(Extrait 99a) 5-6 Quand il en est sorti, il était très faible et très maigre : on ne l’a pas reconnu (Lee I, fr.)

1 E : Bon là, tu as dit on ne l’a pas (L : reconnaît reconnu) reconnu. (L : on ne l’a pas reconnu) Hm.

2 L : Si on est (E : hm) si on est moi, (E : hm-hm) c’est c’est plus juste on ne l’a pas reconnu. (E : hm-hm) Mais si on est quelqu’un qui est... euh général, (E : hm) on on on peut dirait aussi on peut/ on peut dire aussi on ne... on ne le reconnaît + pas. (...) Ah non on ne les on ne le reconnaissait pas. (rire) (...) Parce que euh après son sortie de l’hôpital, (E : hm) il...a il... peut-être il a rencontré les gens petit à petit (E : hm-hm) pendant.. quelque durée. (E : hm-hm) Et.. on/ ça peut être aussi utilisé l’imparfait non ?

 

La distinction des emplois des deux temps se base sur la notion de durée (2) impliquée par le nombre d’actant effectuant le procès : si plusieurs personnes sont concernées, le fait de « ne pas le reconnaître » se reproduit à chaque rencontre sur une certaine période, et cette durée nécessite l’imparfait, et s’il s’agit d’une seule personne, l’emploi du passé composé que Lee juge « plus juste » se base, peut-on déduire, sur la durée courte liée à l’unique occurrence du procès. Dans les deux cas, le procès ne pas le reconnaître semble compris comme une non reconnaissance ponctuelle de la personne. Ce mode incorrect de compréhension du procès s’observe toujours lors du second entretien :

 

(Extrait 83) 5-6 Quand il en est sorti il était très faible et très maigre : on ne le reconnaissait pas (Lee II, cor.)

1 L : Ensuite, après l’hôpital, on parle de Paul tout en connaissant sa situation. (E : hm) Hm… même si on ne l’a pas reconnu, ça dure juste une seconde. On le reconnaît maintenant. (E : hm) Donc on ne l’a pas + reconnu. (E : hm) ++

2 E : C’est-à-dire que là, on ne peut pas employer l’imparfait ? <qu’est-ce qui se passe si on dit on ne le reconnaissait pas ?

3 L : Hm… Je pense que reconnaissait pas est bon aussi. (E : hm) Euh… si on dit on ne l’a pas reconnu, je pense qu’il y a un autre épisode après. (E : hm) Hm… ensuite, si on dit on ne reconnaissait pas, hm… +++++ C’est quoi ? Ça veut dire qu’on ne l’a pas reconnu sur le moment, mais aussi on veut mettre l’accent sur le fait qu’il a beaucoup changé, et qu’il y a eu une période de temps pendant laquelle on était pas habitué à ce changement. (E : hm…) Dans ce cas, on ne reconnaissait pas. (E : hm) XX Quand on clôt l’histoire à ce niveau là, je pense qu’on <peut mettre l’imparfait (E : <l’imparfait)

 

Lors du second entretien, Lee choisit spontanément le passé composé et ce choix se base, comme lors du premier entretien, sur la notion de durée (« c’est juste une seconde »), liée à la temporalité du procès du verbe. Lee interprète toujours que, dans cette durée certes courte, la reconnaissance de la personne n’a pas lieu. Mais la différence par rapport au premier entretien est que Lee suppose dans ce second entretien, le changement d’état liée à l’inclusion de la borne droite dans la saisie du procès : après une seconde de non-reconnaissance, on le reconnaît (1). A la sollicitation de l’enquêtrice (2), l’imparfait lui semble acceptable (3). Parmi les deux caractéristiques relevées par Lee, on observe le sens approprié du procès ne pas le reconnaître : « on veut mettre l’accent sur le fait qu’il a beaucoup changé ». Lee semble ainsi avoir compris l’emploi particulier de reconnaître mais elle fait également référence à la notion de durée durant laquelle la personne garde les traits physiques inhabituels (3).

3.4.1.2. Kim

Lors du premier entretien, comme Lee, Kim comprend le sens de reconnaître comme identification réelle d’une personne :

 

(Extrait 158) 5-6 Quand il en est sorti, il était très faible et très maigre : on ne l’a pas reconnu (Kim I, fr.)

1 E : Donc pour toi c’était normal d’écrire à /le/ à /le/ au passé composé ?

2 K : + Oui

3 E : Parce que pourquoi parce que c’est ++ c’était fini ? ou

4 K : Oui c’était fini + fini oui + oui j’ai... j’ai remarqué (E : hm) eh oui ++ l’emploi d/ + ici oui pourquoi oui j’ai mis l’a... l’a reconnu (E : hm) ah peut-être hm dans ma tête (E : hm) dans ma tête j’ai.. j’ai pensé l’emploi de la durée ++

5 E : Ah de la durée ?

6 K : Oui +++ mais oui c’est pour ça maintenant maintenant on ne le reconnu ah/ on le reconn/ reconnaît ++ maintenant on le reconnaît ++++ ah non non ++ hm.. ++++ ah oui ++++++++++++++++

7 E : Quand tu as écrit ça au passé <composé (K : <oui) c’est... parce que tu l’as écrit parce que + tu ne pensais pas écrire à l’imparfait l’imparfait tu n’y a même pas pensé peut-être ?

8 K : ++ C’est très difficile (E : hm) c’est très difficile +++++ (E : hm-hm) +++++

9 E : Et donc maintenant <tu euh... (K : <hm-hm) + avait le même examen est-ce que tu mettrais quoi ?

10 K : Maintenant ?

11 E : Hm + tu mettrais le passé composé ? ou.. (K : ah) l’imparfait ?

12 K : Maintenant aussi + passé composé

13 E : Passé composé hein ? pourquoi ?

14 K : La répo/ <on peut... (E : <parce que..) on peut pas facilement repenser l’emploi de répétition de... d’imparfait <dans (E : <hm-hm) dans la/ dans cette phrase (E : hm-hm)

15 E : Mais en écrivant au passé composé tu marques quelle idée ? euh.. (K : hm...) c’est..

16 K : Parce que c’est.. c’est une action terminée

17 E : Terminée ?

16 K : Oui (E : hm-hm) ++++++++++

 

Le choix du passé composé pour reconnaître est dû à la notion de durée (4), durée courte, sans doute liée au type de procès transitionnel. Le procès est saisi globalement et vu rétrospectivement (« c’est une action terminée ») (16), et cette saisie implique un changement d’état, d’où son commentaire : « maintenant on le reconnaît » (6), ce qui montre bien qu’elle comprend le sens de reconnaître comme une identification ponctuelle de la personne. L’emploi de l’imparfait, donné par son professeur comme bonne réponse sur la base de l’idée de répétition, lui semble très difficile à envisager (8, 14) au point de choisir encore le passé composé si elle devait à refaire l’exercice à trous (12). Lors du second entretien, l’analyse de Kim n’est pas fondamentalement différente de celle du premier entretien :

 

(Extrait 159) 5-6 Quand il en est sorti, il était très faible et très maigre : on ne l’a pas reconnu (Kim II, cor.)

1 K : Ensuite son état de ce moment là (E : hm) est qu’il était très faible [yakha-ôt-ta] donc à l’imparfait. (E : hm) C’est pour ça qu’on ne l’a pas reconnu [arapo-ji-mot-ha-ôt-ôyo]. (E : hm) A l’instant où on l’a vu, on ne l’a pas reconnu.

2 E : Hm juste le moment où on l’a vu.

3 K : Juste <le moment hm. (E : <Mais après) Après on ne sait pas mais, (E : hm) en tout cas, ici, on parle du moment de départ de l’hôpital, et à la seconde de la sortie de <l’hôpital, (E : <A la seconde de la sortie de l’hôpital) à ce moment là, on ne savait pas [moru-ôt-ô-yo] qui c’était oui. (E : hm)

 

Kim fait référence toujours à la durée courte du procès saisi globalement (1). On peut penser que cette notion est liée au type de procès transitionnel, mais l’intervalle occupé par le procès ne pas reconnaître est analysé comme étant en chevauchement total avec l’intervalle du procès sortir de l’hôpital (3). Cette analyse montre que Kim comprend toujours le procès reconnaître dans le sens d’identification ponctuelle, et pas dans le sens de retrouver les traits physiques habituels de la personne. Quant à l’état postérieur au procès, Kim effectue une analyse différente de celle du premier entretien : elle ne postule plus le changement d’état (« on le reconnaît maintenant »), mais elle limite la validité du procès seulement à l’intervalle du moment repère : « Après on ne sait pas mais, en tout cas, ici, on parle du moment de départ de l’hôpital » (3).

3.4.1.3. Kang

Sans les commentaires de Kang pour les récits 4 (voyage à Rennes) et 5 (accident de montagne) pour le premier entretien, nous présenterons donc les verbalisations du second entretien.

 

(Extrait 64) 5-6 Quand il en est sorti, il était très faible et très maigre : on ne le reconnaissait pas (Kang II, cor.)

1 K : Quand il est sor/ Euh quand il est… quand il en est sorti il était très faible et très maigre (E : hm) on ne l’a pas reconnu (E : hm) +++ On ne l’a pas reconnu (E : hm) +++ On ne l’a pas reconnu ou on ne l’avait pas reconnu (...)

2 E : Hm. Alors dans ce contexte, on le reconnaissait pas ne va pas bien ? Si on met il était très faible ?

3 K : + On ne le reconnaissait est aussi bon, alors.

4 E : Y a-t-il une différence de sens ? Entre on ne l’a pas reconnu, et on ne le reconnaissait pas ?

5 K : ++ Euh quand on dit on ne le reconnaissait pas, quand il en est sorti est (E : hm), on parle seulement de l’état l’état où il se trouvait quand il est sorti de l’hôpital, ensuite quand on dit on ne l’a pas reconnu, (E : hm) on ne l’a pas reconnu, ça veut dire que quand on l’a vu la première fois, sur le moment, on ne l’a pas reconnu. (E : hm) C’est-à-dire que le temps est plus court que pour on ne le reconnaissait pas (E : hm) et un peu + hm ++ on l’a pas reconnu sur le moment et puis hm… +++++ Oui. Je pense que c’est ça. (rire)

 

Kang hésite pour reconnaître, lors de la lecture à haute voix, entre le passé composé et le plus-que-parfait (1). Après le rappel par l’enquêtrice de la consigne d’employer le passé composé ou l’imparfait, son choix est vite fixé pour le passé composé. Mais à la demande d’acceptabilité de l’imparfait (2), Kang acquiesce (3). L’enquêtrice demande la différence entre les deux temps (4) et dans la réponse pour l’imparfait, elle semble faire référence à l’état physique de la personne (5). La lecture d’une réelle non-reconnaissance de la personne est attribuée à l’emploi du passé composé.

3.4.2. Arriver au carrefour

Le procès arriver au carrefour dans le passage Un enfant d’une dizaine d’années faisait du skateboard sur le trottoir de la rue Caillaux. Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé sur l’avenue d’Italie juste au moment où une voiture arrivait est employé de façon particulière. Si le bon choix est le passé composé, le procès arriver au passé composé dans ce contexte comporte deux notions distinctes : après la phrase précédente qui ouvre la vision imperfective de l’activité de l’enfant (un enfant d’une dizaine d’années faisait du skateboard), arriver au carrefour représente la continuité du même procès, faire du skateboard, et le passé composé marque simplement, avec sa valeur d’aspect perfect, le fait que l’enfant a atteint un point de l’espace au cours de la glissade sur son skateboard. Si l’on ne détecte pas la distinction entre le procès réel en question (faire du skateboard) et la localisation spatiale (arriver au carrefour), on risque de comprendre arriver au carrefour comme un procès réel. Lorsqu’on saisit le procès avec les deux bornes, on arrive à concevoir que l’enfant s’arrête réellement au carrefour.

Au niveau du choix du temps, le procès ne représente aucune difficulté pour Kim et Kang, mais Lee éprouve et montre des difficultés.

3.4.2.1. Kim

Kim choisit sans problème le passé composé lors du premier entretien :

 

(Extrait 160) 6-4 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir (...) (Kim I, fr.)

K : Et oui quand il est arrivé au carrefour il n’a pas pu... ralentir (E : hm) et tombé (E : hm) sur l’avenue d’Italie (E : hm) juste au moment où une voiture est arrivée (E : + hm-hm)

 

On ignore quelle analyse Kim effectue pour arriver, mais on constate qu’elle n’éprouve aucune hésitation lors du premier entretien et il en va de même lors du second :

 

(Extrait 161) 6-4 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir (...) (Kim II, cor.)

K : Ensuite à la seconde où il est arrivé au carrefour, à ce moment là, (E : hm) XX ce n’est pas la seconde où il est en train d’arriver mais ici on la voit comme la seconde de son arrivée. (E : hm) Donc le passé composé est arrivé. (E : hm)

 

Dans ce second entretien, Kim saisit le point final du procès arriver qu’elle exprime par l’instantanéité (« à la seconde où il est arrivé au carrefour ») et par la négation de l’aspect imperfectif (« ce n’est pas la seconde où il est en train d’arriver »). Si le choix du passé composé est approprié par rapport à la vision du procès, celle-ci s’avère néanmoins erronée : contrairement à la conception de Kim, le procès arriver au passé composé ne marque pas l’arrêt de l’activité du skateboard qui elle, était en déroulement, d’où la suite du récit :l’ échec du ralentissement et l’accident. La cohérence avec la suite du récit montre que l’analyse macro-discursive peut contribuer à la meilleure conception du procès arriver au carrefour. La conception de Kim nous conduit à supposer rétrospectivement qu’elle avait sans doute la même analyse erronée du procès lors du premier entretien.

3.4.2.2. Kang

Comme pour Kim, nous n’avons pas d’analyse de Kang à propos du procès arriver pour le premier entretien :

 (Extrait 103) 6-4, 5, 6 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé (...) (Kang I, fr.)

1 E : Donc ensuite quand il est arrivé au carrefour il n’a pas pu ralentir et tombé sur l’avenue d’Italie + bon là tu as mis tout au passé composé hein + c’est-à-dire est-ce que c’est une description ou pas ? + <XX

2 K : <Description (E : oui) et... en même temps c’est\

3 E : Ça se passe rapidement c’est ça ?

4 K : Oui c’est un description oui ça se passe rapidement (E : hm) en même temps c’est un f.../ + c’est un fait réel (E : hm...) et +++ (E : <quand il est arrivé) <qui s’est/ qui s’est passé hier (E : hm-<hm) <et/ on a vu (E : hm-<hm) + <on a vu tous (E : hm-hm) ensemble +

Kang choisit correctement le passé composé pour les trois procès, arriver, ne pas pouvoir ralentir et tomber, mais elle les analyse du point de vue discursif (« description ») (2). Lors du second entretien, le choix de Kang pour ces trois procès reste le même :

 

(Extrait 71) 6-4, 5, 6 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait (Kang II, cor.)

1 E : Hm… ensuite quand il est arrivé, ça là, on lui a donné moins de caractère vivant ? Comment ça se passe ? (K : (rire)) Quand il est arrivé <au carrefour\

2 K : <C’est-à-dire, là, il y a une *story* où une situation se poursuit, mais, (E : hm) ici, quand l’enfant est arrivé au carrefour en une fraction de seconde, (E : hm) il n’a pas pu s’arrêter et il est tombé. (E : hm) On explique l’incident de sa chute/ (E : hm) qui euh… très + qui peut se produire en une ou deux secondes. (E : hm) C’est pour ça +++

3 E : C’est-à-dire, comme ce sont des choses qui se produisent en un temps très court, c’est au passé composé ?

4 K : Euh… il y a l’aspect temporel. (E : hm) Euh et puis il y a un truc plus important. (E : hm) ++++ Mais

5 E : Qu’est-ce que c’est ce truc ++ important ?

6 K : +++ Ça… + hm ces… actions (E : hm) se produisent dans l’ordre n’est-ce pas. (E : hm…) Il est arrivé, (E : hm) il n’a pas pu s’arrêter, (E : hm) c’est pour ça qu’il est tombé et

7 E : Ces trois sont tous au passé composé ?

8 K : Oui. (E : hm) ++

 

Kang saisit correctement les procès en succession (6) mais on ignore si elle conçoit arriver comme un procès arrêté ou comme indicateur de localisation spatiale.

3.4.2.3. Lee

Contrairement à Kim et Kang, Lee choisit l’imparfait lors des deux entretiens :

 

(Extrait 162) 6-4 Quand il arrivait au carrefour, il n’a pas pu ralentir (...) (Lee I, fr.)

1 L : Quand il... + hm +++ quand il... arrivait (E : hm) au carrefour, il ne pou/ il n’a pas pu... relancer et... est tombé ? sur l’avenue d’Italie juste au moment de + au moment une voiture ++ <ah

2 E : <Tu as dit quand il arrivait hein ? Quand il arrivait + c’est ça ? quand il arrivait à l’imparfait ? au carrefour il n’a pas pu ++ ralentir et/

3 L : + Hm ++ (E : Et) quand il est arrivé ? quand il est arrivé au carrefour ? (à elle-même) +++ est tombé

4 E : (...) Quand il arrivait + au carrefour, ça aussi c’est une situation ?

5 L : Oui <euh... (E : <euh...) ça... dure/ ++ mais ++ euh... XX <il n’a pas pu (E : <Il n’a pas pu) <partir (E : <partir hm) /e/ tombé (E : hm-hm) sur l’avenue d’Italie (E : hm) et c’est le moment (E : hm) ah plutôt qu’il va... + XXX que hm.. quelques accidents (E : hm-hm) comme hm ++++ *intrigue* (...) Oui oui c’est une histoire euh... qui existe depuis euh certain temps (E : hm-hm) euh... hm... on hm... une situation qui qui dure + XX temps (E : hm-hm) euh jusqu’à (E : hm-hm) jusqu’à jusqu’à certain (E : hm-hm) et il y a quelque chose qui va hm... qui va XXX accident ou...

6 E : Hm-hm tu tu vois ça ici ? C’est... (L : Ouais) + XX qu’il arrive quand il arrivait c’est-à-dire tu décris une situation ? (L : hm) C’est ça ? Donc... tu ne vois pas comme une action ponctuelle...

7 L : Non parce que bientôt il/ va avoir.. hm.... un accident. (E : hm-hm)

 

Lors de la lecture à haute voix, Lee hésite et choisit l’imparfait (1). A la demande de confirmation de l’enquêtrice (2), Lee ne se montre pas sûre de la forme adéquate et teste l’acceptabilité du passé composé (3). Mais elle interprète le procès comme une « situation qui dure » (2) jusqu’à la survenue d’un événement, l’accident, en l’occurrence. On aperçoit aussi qu’elle attribue une valeur macro-discursive au procès à l’imparfait, consistant à annoncer un événement.

Lors du second entretien, Lee semble toujours hésitante au moment de la lecture à haute voix : « Quand il arrivait ou quand il est arrivé au carrefour (...) ». Mais elle choisit l’imparfait comme lors du premier entretien :

 

(Extrait 14a) 6-4 Quand il arrivait au carrefour, il n’a pas pu ralentir (...) (Lee II, cor.)

1 L : Ensuite, quand il est arrivé au carrefour

2 E : Ça, tu l’as fait à l’imparfait (L : hm) quand il arrivait +

3 L : Même quand il est arrivé au carrefour, continuellement ++ j’ai l’impression que ça continue. +++ il ne voulait pas seulement arriver au carrefour (E : hm), mais il continuait à en faire, et quand on parle d’un événement non prévu qui a lieu à ce moment là, je pense qu’on utiliserait l’imparfait. + Hm ++ (...) ++++ Et si l’on veut, le passé composé est possible, je crois.

4 E : Où ?

5 L : Quand il est arrivé <au carrefour (E : <ah quand il est arrivé) hm +

6 E : Alors, la différence de sens ?

7 L : + Hm la la nuance (E : hm) est différente. Hm

8 E : Comment c’est différent ?

9 L : Avec Quand il arrivait au carrefour (E : hm), s’il n’y avait pas cet incident, il conti/ il allait passer le carrefour et qu’est-ce qu’il y a, le rond point aussi <(rire) (E : <(rire)) et continuerait de <faire du skateboard. (E : <XXX) Hm. Ça c’est selon les locuteurs (E : hm), on coupe ici et là, oui j’ai <cette impression.

10 E : <Hm. Si on utilisait est arrivé ?

11 L : Euh + il aurait pu vouloir arriver jusqu’au carrefour (E : hm), ou alors euh… le fait qu’il voulait réduire la vitesse (E : hm) aurait pu être ce qu’il cherchait réellement, ce garçon + Hm +

12 E : Ah donc il avait l’intention de réduire la vitesse et il est arrivé au carrefour, c’est ça ?

13 L : En arrivant au carrefour, il aurait pu penser à réduire intentionnellement la vitesse (E : hm), ou alors hm… + hm il aurait pu penser arriver seulement jusqu’au carrefour. (E : hm) ++ Non. Selon le point de vue du locuteur, (E : hm) on peut arrêter l’histoire ici ++ hm ensuite on continue l’histoire (E : hm). Est-ce qu’on le considère comme une action ou non, est-ce qu’on coupe la scène ou non (E : hm), ça aussi c’est lié

 

Dans ce second entretien, Lee saisit la continuité du procès entamé, son aspect imperfectif (3). De plus, on observe d’autres caractéristiques repérées par Lee : l’emploi de l’imparfait pour un événement non prévu (3) et l’emploi du passé composé qu’elle juge acceptable pour l’intentionnalité de l’actant réalisant le procès (11). On constate dans cette analyse que l’emploi du passé composé pour le verbe arriver est compris par elle comme l’arrêt du procès contrôlé par l’actant. Mais comme le procès qu’elle conçoit est au contraire en déroulement, ceci la conduit à choisir l’imparfait, conformément au schéma habituel. L’analyse de Lee montre clairement la non-distinction entre le procès faire du skateboard et celui d’arriver au niveau de carrefour : Lee interprète arriver au carrefour en déroulement comme étant synonyme de faire du skateboard qui l’est lui aussi.

Le fait que Lee emploie l’imparfait pour un verbe transitionnel dès le premier entretien montre que la difficulté qu’elle avait dans le même entretien pour un autre verbe transitionnel, partir pour Chamonix, n’était pas due au type de procès du verbe : ce qui représente une difficulté pour Lee n’est pas la saisie imperfective pour les procès transitionnels.

De façon générale, les cas de ne pas le reconnaître et d’arriver au carrefour montrent que, même si le principe de l’aspect imperfectif est acquis, il existe des cas particuliers qui nécessitent des connaissances supplémentaires pour pouvoir saisir cet aspect du procès.

3.5. Discussion

L’examen de différents cas d’erreurs de choix de l’imparfait nous montre que la saisie de l’aspect imperfectif d’un procès nécessite des connaissances de différents ordres : la prise en compte du franchissement ou non des bornes de l’intervalle, le repérage du bon moment repère, les connaissances de l’emploi particulier de certains verbes, et la lecture macro-discursive du procès.

La saisie de la borne gauche entamée et celle de la borne droite non franchie caractérisent l’aspect imperfectif. Cette saisie n’était pas effectuée par nos apprenantes lors du premier entretien malgré leur conception générale pourtant correcte d’un procès en cours. Ce phénomène montre qu’outre une conception générale, un autre niveau de conception du procès mettant en oeuvre explicitement ces notions de bornes est nécessaire, notamment pour les procès transitionnels. La notion de franchissement des bornes s’acquiert relativement bien sur la période d’observation.

Dans beaucoup de cas, l’analyse appropriée de la situation fournit la clé de la vision à adopter pour un procès donné. C’est la capacité macro-discursive qui intervient dans cette analyse. Si l’apprenant possède la compétence macro-discursive dans sa langue première et peut l’utiliser en langue étrangère, notre observation montre que sa maîtrise n’est pas aussi facile qu’on pourrait l’imaginer : plusieurs erreurs sont dues à l’inattention à la cohérence du récit, les apprenantes limitant leur attention au procès de manière locale. Nous avançons l’hypothèse que la compétence macro-discursive en langue étrangère ou la compétence de compréhension textuelle, nécessite l’acquisition de connaissances linguistiques générales de la langue cible comme les connaissances d’emplois particuliers de certains verbes.

4. Conclusion

         Les bonnes réponses dans l’exercice à trous ne sont pas toujours dues à la connaissance des notions pertinentes. La non-référence à celles-ci dans des contextes obligatoires (où elles entraînent une erreur) le démontre. L’observation de traitements de différents exemples est ainsi nécessaire pour évaluer l’acquisition des notions. Les verbalisations sur différents exemples et sur deux entretiens nous ont permis de découvrir que les erreurs de choix de temps de nos trois informatrices sont liées essentiellement à trois notions, le bornage, la relation d’inclusion entre intervalles, et l’imperfectivité.

L’observation des verbalisations à deux reprises nous indique qu’aucune des trois informatrices ne s’est appropriée sur la période d’observation l’opérationnalité de ces trois caractéristiques. Nos apprenantes montrent des niveaux d’acquisition différents pour chacune des notions : outre les différences d’input, « naturel » et métalinguistique, auxquelles elles ont été confrontées, des processus différents sous-jacents à l’acquisition de ces notions peuvent être en cause :

a) Pour le bornage, la prise en compte de la borne droite accompagnant le choix du passé composé est la seule configuration de bornage observée communément chez les informatrices : d’autres configurations observées dans l’exercice à trous (prise en compte des deux bornes, celle de la borne droite seule et la non-inclusion des bornes dans la saisie du procès) ne sont pas verbalisées par toutes les apprenantes. Seule Kang et Kim exercent leur attention respectivement sur le double bornage et la borne droite. Le processus d’acquisition de la notion de bornage est le plus simple des trois : la prise de conscience des bornes et le repérage des différentes configurations de bornage (saisie ou non saisie), ainsi que les temps verbaux correspondants.

b) Pour le rapport d’inclusion, les trois informatrices montrent différents degrés d’acquisition : Kim ne saisit pratiquement jamais deux intervalles en terme d’inclusion, et Kang qui semble par ailleurs la saisir, ne reconnaît pas, même au second entretien, des structures semblables selon les situations. Cette non-systématicité nous conduit à penser qu’en réalité, Kim et Kang ne possédaient pas la connaissance. Par contre, Lee sait reconnaître le même rapport d’inclusion dans un contexte différent, mais effectue un choix de temps verbal erroné sur les deux entretiens. Ces diverses manifestations de connaissances montre que l’acquisition de la notion d’inclusion demande une mise en relation d’intervalles et une abstraction (ou schématisation) de leur rapport.

c) Quant à l’aspect imperfectif, la prise en compte du franchissement de la borne gauche pour un procès transitionnel, qui faisait défaut lors du premier entretien est bien effectuée lors du second. Outre cette nécessité d’attention aux bornes de l’intervalle, nous avons constaté que le choix approprié de la vision imperfective d’un procès au moment repère s’appuie également sur la capacité macro-discursive, qui elle, nous semble se fonder sur un développement global des connaissances sur la langue cible.

 

 

*   *   *   *   *

 

Les valeurs du passé composé et de l’imparfait sont un faisceau de diverses micro-notions temporelles. Notre grille d’observation constituée de ces notions nous a permis d’observer celles auxquelles nos informatrices ont recours et auxquelles elles pourraient recourir par stimulation extérieure dans leur analyse de ces temps.

Les verbalisations montrent non seulement les catégories qu’elles emploient mais aussi les démarches cognitives déployées dans la référence aux notions. Ces deux aspects, l’identification et la mise en œuvre de catégories temporelles, nous informent sur leur degré d’opérationnalité chez nos apprenantes. Exceptés quelques notions qui semblent déjà opérationnelles du fait de l’acquisition de la langue maternelle (aspect perfect, rôles discursifs locaux) et d’autres qui semblent repérées naturellement (type de procès du verbe, notion de durée), les catégories sont en général en cours d’acquisition : certaines ne sont pas identifiées (double bornage extrinsèque), d’autres manquent de systématicité (chevauchement partiel d’inclusion), et d’autres encore nécessitent l’acquisition de procédés appropriés de repérage (saisie de la borne droite, localisation de durée).

Si certaines notions peuvent s’acquérir isolément (types de procès du verbe, double bornage extrinsèque), l’acquisition des autres notions semblent reliées entre elles, l’état de connaissances d’une notion influençant l’acquisition d’autres (ex. inclusion et successivité, bornage et successivité, perfect/imperfectif et nombre d’occurrences de procès).

A travers cet exemple du passé composé et de l’imparfait, nous avons également relevé, des indices de la nécessité de la prise de conscience de catégories opératoires dans ces micro- processus d’acquisition d’une langue étrangère.

 


 



Thèse Résumé Table Introduction Chapitre 1 Chapitre 2 Chapitre 3 Chapitre 4 Chapitre 5 Chapitre 6 Chapitre 7 Conclusion
Bibliographie Index notions Index noms Corpus Lee 1-1 Corpus Lee 1-2 Corpus Lee 2 Corpus Kang 1-1 Corpus Kang 1-2 Corpus Kang 2 Corpus Kim 1-1 Corpus Kim 1-2 Corpus Kim 2

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